Les récentes flambées tant des prix alimentaires que de l’énergie pénalisent les ménages du monde entier. Celle qui affecte les prix de l’énergie depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie souligne le besoin d’une moindre dépendance envers des sources sujettes à perturbations récurrentes. La guerre a également un impact sur la sécurité alimentaire, déjà mise à mal par les mauvaises récoltes et les phénomènes météorologiques extrêmes dus à la hausse des températures. Cela montre clairement l’importance d’une transition verte accélérée si l’on veut limiter de nouvelles hausses de température, tout en protégeant les personnes et pays vulnérables qui dépendent le plus des carburants et des emplois à forte teneur en carbone.

Bien que la tarification du carbone soit l’un des outils économiques les plus efficaces pour orienter les dépenses et les investissements hors des énergies polluantes et vers des alternatives vertes, de nombreux pays restent réticents à utiliser ce levier. Ils craignent une perte de compétitivité à l’international, notamment dans les secteurs à fortes émissions comme l’acier ou les produits chimiques.

Une façon de résoudre cette quadrature du cercle est de conclure un accord sur un prix plancher international du carbone (PPIC). C’est ce qu’ont proposé les services du FMI dans un document publié l’année dernière, qui demandait que les plus grands émetteurs mondiaux paient un prix plancher allant de 25 à 75 dollars par tonne de carbone selon leur niveau de développement économique. Cette proposition laisse la place, pour certains pays, à des politiques alternatives à la tarification du carbone, des réglementations par exemple, pour autant qu’elles atteignent les mêmes réductions d’émissions que le ferait un prix plancher du carbone.

Nous développons cette proposition dans un récent staff paper qui montre qu’un PPIC simultanément introduit par l’ensemble des pays —et avec prix planchers échelonnés selon le niveau de revenu du pays— combinerait plusieurs avantages par rapport aux systèmes alternatifs. D’abord, il réduirait les émissions à un niveau tel que l’objectif des 2°C soit atteint. Il s’agit en fait de la seule option crédible parmi toutes celles qu’envisage le document cité pour éviter à notre planète des températures dangereusement élevées.

 

Un prix qui en vaut la peine

Ensuite, il n’affecterait qu’assez peu la croissance économique mondiale —à condition que les pays investissent également dans les énergies à faible teneur en carbone. Selon nos estimations, le PPIC réduirait le PIB de 1,5 % d’ici 2030 par rapport à ce qu’il aurait été en l’absence du prix plancher, les pays les plus pauvres du monde subissant même un ralentissement bien plus faible (de seulement 0,6 %). C’est donc un prix qui vaut la peine d’être payé pour éviter les coûts, bien plus importants, qu’on subirait en cas d’échec de la réduction des émissions de carbone —plusieurs trillions de dollars—comme l’indique un récent rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

Enfin, elle garantirait, grâce au mécanisme de prix plancher différenciés, un partage plus équitable des coûts de la transition selon la responsabilité de chaque pays, approchée par leur niveau de revenu. La proposition de PPIC fixe des prix planchers par tonne de carbone à 25 dollars pour les pays à faible revenu, 50 pour les pays à revenu moyen et 75 pour les pays à revenu élevé. C’est une règle plus juste qu’un prix mondial uniforme du carbone qui réduirait de plus le besoin de transferts compensatoires de revenu entre les pays dont on a vu le caractère politiquement problématique par le passé.

Il ne s’agit que de prix plancher. De nombreux pays (en particulier ceux à haut revenu) se sont engagés à mener une politique climatique ambitieuse par le jeu des contributions déterminées au niveau national (CDN). Ces pays pourraient fixer un prix plus élevé s’ils veulent atteindre de tels objectifs. S’agissant des pays à revenu bas ou intermédiaire, notre analyse montre toutefois que les planchers à 25 et 50 dollars sont plus élevés que ceux impliqués par leurs CDN car ceux-ci ne vont pas assez loin pour limiter l’augmentation de la température. Or, il est essentiel que les pays à revenu moyen et faible —dont la part dans les émissions mondiales est en croissance rapide— contribuent de façon renforcée pour maîtriser les températures mondiales.

 

Compétitivité préservée

Faute d’un accord mondial en matière climatique, les pays à revenu élevé envisagent aujourd’hui un tarif sur les émissions de carbone des produits importés (ce que l’on appelle un ajustement carbone aux frontières ou ACF). L’intention est de protéger l’industrie nationale des concurrents étrangers qui feraient face à des politiques climatiques moins strictes. Notre étude confirme les travaux antérieurs qui montrent que les ACF, bien que capables de protéger les industries à forte intensité énergétique et exposées à la concurrence, n’incitent pas à réduire suffisamment les émissions pour atteindre les objectifs de température. Cela est dû au fait qu’elles ne taxent que les biens exportés par les pays qui n’ont pas de taxe carbone nationale.

Un quatrième avantage d’un PPIC simultané et différencié est qu’il ne serait pas nécessaire pour les pays à haut revenu d’imposer un tarif de type ACF. Les pays agiraient de concert, sans que ceux à revenu élevé subissent de perte majeure de compétitivité. C’est d’autant plus vrai que les prix du carbone ont des planchers différenciés : les biens produits par les pays à revenu moyen et faible sont généralement plus intensifs en carbone, de sorte que le prix du carbone plus bas et l’intensité de carbone plus élevée se compensent mutuellement. Un bien donné nécessiterait donc des paiements carbones similaires quelle que soit la catégorie de revenu du pays.

Les tensions géopolitiques se sont accrues depuis l’invasion russe et les perspectives de coopération internationale peuvent sembler minces, car les pays se replient dans des camps rivaux. Pourtant, le changement climatique est un défi mondial qui peut —et doit— concentrer les esprits au moment où des inondations, des sécheresses et des catastrophes météorologiques plus fréquentes exacerbent la crise alimentaire et imposent d’autres coûts économiques et humains. Notre proposition d’un prix plancher international du carbone mis en place progressivement d’ici 2030 serait un grand pas vers la limitation du réchauffement climatique à moins de 2°C.

Ce billet provient, après traduction, du blog du FMI, avec l’aimable autorisation de cette institution.