Avec la campagne présidentielle, reviennent les débats sur les inégalités de patrimoine et sur les impôts concernant celui-ci, notamment les droits de succession et le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), intégrant notamment les actifs financiers dans l’assiette de l’actuel Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI).

Le plus souvent les mesures proposées concernent les patrimoines dans leur globalité et ne prennent en compte que le total pour déterminer les taux de prélèvement fiscaux. Pourtant, dans la réalité, cela n’est pas pour rien que les taxes actuelles, bien qu’imparfaites, sont très différentes suivant la nature du bien. En particulier, le patrimoine immobilier d’un côté, les patrimoines financiers et professionnels de l’autre, ne peuvent pas être agrégés. Ils différent pour plusieurs types de raisons aux conséquences économiques et fiscales spécifiques.

Les actifs patrimoniaux se distinguent tout d’abord dans leur usage, avec d’une part les biens dont on a la jouissance – l’immobilier et les œuvres d’art, par exemple, qui apportent du bien-être ou du plaisir – et d’autre part, les actifs immatériels ou professionnels, qui donnent une possibilité d’agir – le patrimoine financier ou les entreprises-.

Ensuite dans leur mobilité, avec l’immobilier qui par essence est assigné à un territoire et d’un autre côté les actifs financiers ou professionnels souvent susceptibles de traverser les frontières.

Enfin dans leurs détenteurs : alors que le patrimoine immobilier est assez largement réparti auprès d’une majorité de la population, le patrimoine financier et professionnel est, lui, concentré sur les 300 000 ménages ayant un patrimoine total supérieur à 2 M€.

 

Trois catégories de patrimoine

C’est ce que montre une étude récemment publiée par l’INSEE[1]. Elle permet de distinguer trois catégories de ménages entre lesquelles il n’existe pas de véritable continuum : passer d’une catégorie à un autre induit un changement profond de situation.

Les petits patrimoines tout d’abord (inférieurs à 50 K€). Environ le tiers des ménages rentre dans cette catégorie, avec des actifs composés pour l’essentiel de liquidités et de biens durables. Très rares sont ceux qui détiennent un bien immobilier ou professionnel.

Les patrimoines intermédiaires ensuite (compris entre 50 K€ et 2 M€), qui correspondent à 65 % des ménages. Pour ceux-ci, le patrimoine est essentiellement composé de leur résidence principale et/ou secondaire, voire d’investissement locatif. Quel que soit le niveau global des avoirs dans cette catégorie, le patrimoine immobilier représente près de 70% des actifs du ménage.

Enfin les ménages dont le patrimoine brut est supérieur à 2 M€ et qui représentent 1% de la population (environ 300 000 ménages). Leurs actifs sont, pour 65% du total, soit financiers, soit professionnels.

Les deux dernières catégories se partagent les actifs de façon déséquilibrée : la catégorie intermédiaire possède 93% des biens immobiliers, alors que les 1% les plus riches n’en ont que 7%. En revanche, ces derniers concentrent 40 % des actifs financiers à risque et des biens professionnels des ménages (3 800 Md€ en 2019, selon la comptabilité nationale[2]).

Cette situation donne aux pouvoirs publics une assez large marge de manœuvre en matière de fiscalité immobilière. Cela tient à la fois à la nature intransportable du bien mais aussi à la répartition de la base taxable sur une large partie de la population.

La situation est largement inversée pour les actifs financiers et professionnels. Très concentrés sur un petit nombre de personnes qui sont généralement plus mobiles internationalement que la moyenne de la population, les actifs concernés sont aussi à l’origine d’une part importante de l’activité économique du pays.

Un certain nombre de pays de l’OCDE taxe les actifs financiers et professionnels à l’occasion de leur transmission, et notamment lors du décès. Pendant 35 ans, la France avait innové avec l’ISF, en sus des droits de succession. Celui-ci, instauré en France en 1982 et supprimé en 2018, concernait tous les actifs patrimoniaux à l’exception des biens professionnels et des œuvres d’art. Il avait abouti au départ à l’étranger d’un nombre significatif de grandes fortunes.

 

Faible rendement de l’imposition des actifs financiers au temps de l’ISF

Mais surtout, le rendement de la partie assise sur les actifs financiers était extrêmement faible : 3 Md€ environ si l’on en juge par l’écart entre les recettes de l’Impôt sur la Fortune Immobilière qui l’a remplacé avec celles de l’ISF pour sa dernière année (5 Md€ milliards d’euros en 2017).

En effet, dès 1988, il était apparu nécessaire de plafonner l’ISF à 70, puis 85% du revenu annuel du contribuable, afin d’éviter qu’il ne devienne confiscatoire. Dès lors l’impôt était vidé de son sens pour ce qui concerne le capital financier. Qui aurait continué à percevoir des revenus du capital pour les voir disparaître en ISF dans leur quasi-totalité ? Les intéressés ont réduit les dividendes perçus à titre personnel pour faire jouer le plafonnement à un niveau plus bas et diminuer leur ISF. C’est assurément une des explications de l’augmentation nette des dividendes versés aux ménages en 2018 au lendemain de la suppression de cet impôt : + 9 Md€ soit 62 % de plus qu’en 2017[3]. Ainsi, en 2018, ce qui a été perdu en impôt sur le capital a été récupéré en impôt sur le revenu grâce à la taxation de ces dividendes supplémentaires.

C’est pourquoi, alors que d’autres pays développés tels que la Suisse ont mis en place un impôt assis sur la propriété immobilière, aucun ne s’est inspiré de l’ISF français en taxant la détention d’actifs financiers.

 

[1] Revenus et patrimoine des ménages, INSEE Références, Edition 2021

[2] Le patrimoine économique national en 2019, Bulletin de la banque de France, nov-dec 2020

[3] Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital – Deuxième rapport (strategie.gouv.fr)