Symbole de l’exubérance capitaliste aux yeux de beaucoup, les stock options sont objet de controverse depuis leur introduction. Il n’y a guère d’année où une âme en croisade ne vienne proposer son astuce d’allégement fiscal ou plutôt, depuis la crise financière, d’alourdissement de leur fiscalité. Pourtant, elles ont leur utilité : les débats conduits sur les bonus des banques indiquent qu’il est nécessaire de différer la perception du bonus à un moment où la performance du salarié est mesurable, c’est-à-dire au bout d’un certain nombre d’années. On n’est pas loin alors de l’idée qui prévaut pour les stock options.

Il faut pour ces instruments une fiscalité lisible et simple. Les déclarations de revenu au titre des stock options sont plus difficiles à remplir que le plus coriace des sudokus. Il faut une fiscalité pérenne parce que l’incertitude fiscale qui entourent ces produits contribuent à les fragiliser.

On propose ici une solution à la fois simple et équitable, et, rêvons un peu, durable si elle devait être mise en place. Il suffit de considérer que les stock options ne sont rien d’autre, économiquement et financièrement, qu’un salaire à la charge de l’entreprise, un salaire d’un mode particulier, consistant à remettre au salarié ou au dirigeant un titre financier plutôt que du cash, mais un salaire.

(Voir en fin de ce billet un encadré sur la fiscalité qui prévaut aujourd’hui en France.)

 

Les stock options comme les voitures de fonction

La rémunération finale du salarié est incertaine au moment de l’attribution, étant liée de façon contingente à l’évolution future du cours de bourse ou de tout autre indicateur censé représenter la performance du salarié ou de l’entreprise. Ce caractère incertain, ajouté au fait que l’option est supposée inciter le salarié à l’effort et donc à créer davantage de valeur pour l’entreprise, a longtemps brouillé la nature salariale de ce coût pour l’entreprise et de ce gain pour le salarié bénéficiaire.

Il y a plus d’un demi-siècle, à une époque où les entreprises ne connaissaient pas ces instruments, est apparu l’usage de doter certains cadres d’une voiture de fonction. C’était là aussi un élément de salaire, qui joue lui-aussi son rôle d’incitation au travail en raison du statut conféré au cadre qui en bénéficie. Longtemps, le fisc et la sécurité sociale ont laissé de côté cette rémunération, avant de s’apercevoir qu’il s’agissait ni plus ni moins d’un salaire, et donc, très légitimement, de le charger à l’égal d’un salaire. Pas plus que pour les voitures de fonction, considérer les stock options comme une charge pour l’entreprise ne va de soi. Le débat a été vraiment lancé lorsque les normes comptables américaines, puis européennes avec IFRS, ont imposé aux entreprises de traiter ces rémunérations contingentes comme des rémunérations. Il s’est clos lorsque trois parmi les plus grands universitaires de la finance, dont un Prix Nobel, ont publié un article au titre définitif : « Pour la dernière fois, les stock options sont une dépense »1.

Rémunération incertaine ne veut pas dire indéterminable. Le coût salarial repris dans la comptabilité de l’entreprise est la « valeur financière » (VF) de l’option, que des méthodes d’actualisation plus ou moins courantes permettent de déterminer. Cette valeur financière représente l’espérance de gain avant impôts du salarié au moment de l’exercice de ses stock options, vue à la date de leur attribution2.

La proposition consiste à taxer les stock options comme un salaire à hauteur de cette « valeur financière », ni plus ni (presque) moins. A la fois les entreprises payeuses et les salariés bénéficiaires. En effet, puisque les stock options sont un salaire à hauteur de leur VF, cette VF est donc incluse dans la base fiscale du salarié et taxée comme l’est tout autre revenu salarial de la personne. Elle subit donc des cotisations sociales patronales et salariées aux taux en vigueur. Par contre, comme la VF est un salaire, elle vient naturellement en déduction des bénéfices imposables à l’impôt sur les sociétés. Une fois que les impôts et taxes sur ce versement ont été acquittés, le salarié se retrouve titulaire d’une valeur mobilière, la stock option, qui subit l’impôt sur les plus-values comme toute autre valeur mobilière.

A noter que la loi de finances 2008 a introduit cette notion de valeur financière : l’entreprise a le choix de calculer le montant de ses cotisations sociales comme 10% de la valeur financière des stock options distribués.

On fait pour finir deux entorses au régime standard de la fiscalité des salaires et des plus-values.

  • on reprend du système actuel le fait que l’impôt et les charges sociales ne sont payables par le salarié qu’au moment de l’exercice de l’option et non à son attribution pour éviter l’avance de fonds. On peut débattre si ce même avantage d’éviter l’avance de trésorerie doit être appliqué à l’entreprise ou non. Probablement oui, pour éviter de pénaliser les jeunes entreprises de croissance qui paient souvent leurs salariés par rémunérations contingentes ;
  • si à date d’exercice, la plus-value d’attribution est inférieure à la VF, le salarié ne sera passible d’impôt et de charges sociales qu’à hauteur de la plus-value. Il ne peut pas y avoir de perte nette pour le salarié qui perçoit une stock option, si on veut en conserver l’esprit.

Les simulations montrent qu’au cas où la VF estime correctement la plus-value d’acquisition future, les recettes fiscale et sociale sont légèrement moindres que dans le régime actuel. Pour les salariés à très haut revenu, taxés au taux marginal le plus élevé de l’IR, la proposition peut apparaître comme plus mauvaise : ils paieront des cotisations salariés de 20% en plus de l’impôt de 51%, mais uniquement sur la VF. Le reste de leur gain moyen à terme, à savoir la différence entre la plus-value d’attribution et la VF, sera taxé au taux de 27% plutôt que 51%. Il y aura aussi une recette moindre pour l’Etat en raison de la déductibilité au titre de l’impôt sur les sociétés, mais compensé par des recettes plus fortes pour les caisses de sécurité sociale.

 

Plusieurs avantages à la proposition

  • Ce système équilibre les intérêts de l’entreprise et des salariés bénéficiaires autour d’une bonne valorisation de la valeur financière, ce qui est important pour la qualité des comptes produits par l’entreprise. Celle-ci serait-elle tentée de sous-estimer la valeur des stock options qu’elle attribue pour faire plaisir à ses salariés et pour doper son profit ? A supposer que cela passe le filtre des commissaires aux comptes, ce serait un curieux calcul économique puisqu’alors la réduction d’IS serait moindre. Il devient vertueux de bien déclarer la charge.
  • On clôt également, sans pénalisation pour le salarié et pour l’entreprise, le débat sur l’application ou non de charges sociales sur les stock options. C’est désincitatif, disent les défenseurs acharnés du zéro-impôt. Pas plus pas moins que tout impôt sur les salaires, qu’il soit versé à un dirigeant sous forme contingente ou à un salarié ordinaire en cash. Les dirigeants seraient-ils les seuls à valoir l’effort d’être incités au travail ?
  • Enfin, la proposition clos une partie du débat sur les stock options, celle illustrée par Louis Gallois, président de EADS, qui a refusé le maintien de ce mode de paiement dans son entreprise, le jugeant assimilable à une loterie aux vertus incitatrices douteuses. C’est possible, notamment pour les entreprises dont le cours est affecté d’une forte volatilité. Dès lors qu’on supprime toute distorsion fiscale par rapport aux autres modes de rémunération, c’est un choix qui appartient à la seule entreprise et à ses dirigeants, à eux de juger de l’adaptation de l’instrument en regard des buts recherchés. Conçues ainsi, les stock options pourraient avantageusement remplacer chez les banques les bonus qu’elles versent à leurs banquiers, dont on sait maintenant que leurs propriétés incitatives sont hautement perverses.
  • Le jour où le législateur décidera de changer le taux de l’un ou l’autre de ces impôts, il n’y aura aucun pathos parlementaire pour que la fiscalité des stock options suive.

 

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Fiscalité portant sur les tranches les plus récentes de stock options

En simplifiant, la « plus-value d’acquisition » (à savoir l’écart entre le cours de l’action et son prix d’exercice en date de cet exercice) est taxée environ au taux de 52,1 % (40 % d’impôt sur la plus-value et 12,1 % de CSG-CRDS), ce qui équivaut à la tranche la plus haute de l’impôt sur le revenu, cette taxation s’appliquant que l’action soit ou non vendue suite à l’exercice. Ce taux de 52,1% peut être ramené à 42,1 % si l’exercice se fait au-delà d’une période supplémentaire de portage ou bien si la plus-value d’acquisition est inférieure à un certain seuil. Si le prix d’attribution de l’option est inférieur au cours de bourse au moment de l’attribution, le « rabais excédentaire » est pleinement taxé comme un salaire, y compris cotisations sociales (s’il excède 5% du prix d’attribution). Si le salarié devient détenteur de l’action, toute plus-value au titre de cette action est taxée au taux standard en vigueur, soit 28,1 % y compris CSG-CRDS. Enfin, la loi de finance 2008 a rajouté deux compléments fiscaux : une contribution patronale, à la charge de l’entreprise, et une contribution salariale, à celle du salarié, d’un montant de 2,5% chacune sur la plus-value d’acquisition (ce qui ouvre la porte à des cotisations sociales accrues dans le futur, n’en doutons-pas).[/box]

 

1. Voir Bodie, Zvi, Robert S.Kaplan, and Robert C. Merton, 2003, « For the Last Time: Stock options Are an Expense », March, Harvard Business Review.
2. A signaler un excellent ouvrage sur les stock options et plus généralement toutes les rémunérations contingentes des dirigeants d’entreprise : « Motivation financière des dirigeants : options et autres instruments », Thomas Bouvet et alii, Economica, 2010. Rien de mieux en langue française et sans doute aussi en langue anglaise.