Dans le grand déballage auquel nous oblige la crise, il était inévitable qu’on se pose la question du private equity. Utile ou inutile ? Sage ou frappé des mêmes excès que le reste de la sphère financière ? Créateur de valeur ou parasite ? Deux études parues simultanément confirment ce que disent beaucoup d’autres, et de façon très argumentée : les deux à la fois. Précisons :
 
– les entreprises sous private equity (pour la suite, on entend surtout les entreprises achetées avec effet de levier, via des LBO) montrent en général des performances en matière de croissance et de créations d’emploi supérieures à la moyenne ;
 
– mais les investisseurs qui confient leurs sommes à des fonds de private equity ont en moyenne des performances inférieures à ce qu’ils auraient s’ils plaçaient les mêmes fonds en bourse, typiquement sur l’indice S&P 500.
 
La première étude vient d’économistes français, David Thesmar, David Sraer et Quentin Boucly. Un résumé peut en être lu sur le site Telos. Ils étudient les performances de 850 entreprises françaises ayant fait l’objet de LBO sur la période 1994-2006, en les comparant à celles d’entreprises similaires. Ils concluent clairement qu’au terme de 4 ans suivant l’opération, les entreprises sous LBO ont une croissance et une rentabilité plus fortes. De plus, elles ont créé en moyenne 15% de plus d’emplois que les autres entreprises. Cela va contre pas mal d’idées véhiculées en ce moment, non ? L’étude confirme donc ce qu’on observe dans la pratique : le private equity est une forme plutôt performante de contrôle des entreprises, alliant efficacement un « activisme actionnarial » (lisez : des actionnaires qui s’occupent de leurs investissements !), un contrôle sérieux du cash-flow par les créanciers et des managers qui en général travaillent dans le sens des intérêts des investisseurs. Le fait que l’horizon de placement des fonds soit limité (3 à 5 ans en moyenne) n’est nullement un obstacle à une bonne performance : pour gagner de l’argent, le fonds doit bien revendre sa participation et donc bien la valoriser pendant le temps de son investissement. S’il y a eu des abus, ils ont été limités à la période récente, avec la valse des LBO secondaires et raccourcissement des délais de placement, avec des cibles payées trop cher ou trop endettées et avec des managers qui conduisaient le jeu à leur seul profit (je les signalais déjà en 2006 dans une tribune des Echos du 21/12/06, disponible sur Internet, qui avait valu les félicitations d’un ancien président de l’AFIC, l’Association française des investisseurs en capital investissement).
 
C’était le côté « ange ». Maintenant, si les fonds de private equity gèrent plutôt bien leurs participations, est-ce que cela profite à leurs investisseurs ? Sur cette seconde question, le très prestigieux Journal of Economic Perspectives (Winter 2009) publie une étude d’un autre Français, Ludovic Phalippou, au titre évocateur : «Beware of Venturing in Private Equity». L’article, dont des versions de travail sont sur Internet, montre que la performance brute des fonds de private equity, c’est-à-dire avant paiement des commissions, est supérieure à celle de l’indice S&P 500, confirmant ainsi indirectement ce que disent Thesmar et ses collègues. Mais l’article montre aussi que la rémunération des gestionnaires des fonds s’élève à 7% en moyenne ! Ce qui fait que la performance nette pour l’investisseur est nettement inférieure à celle d’un placement boursier. Cette très médiocre performance tient donc à la structure des commissions, très nettement exagérées, comme toutes les rémunérations de la finance depuis une décennie ou deux, selon des logiques déjà discutées dans ce blog. La rémunération typique obéit à la règle du 2% plus 20%, qui s’est assez étonnamment imposée comme une norme que personne ne remet en cause (qui prend donc un caractère collusif). Elle dit que les gérants du fonds touchent 2% de commissions fixes sur les sommes engagées (ou investies) plus un « carried interest » de 20% des plus-values du fonds au-delà d’un taux de rendement déclencheur, en général fixé à 8%. Mais cette règle admet des variations très subtiles à l’avantage des gérants du fonds, qui obligent à lire les petits caractères des prospectus de placement. Parce qu’au total, c’est bien une rémunération de 7% des fonds investis qui est perçue par les gérants ! L’auteur montre aussi pourquoi les statistiques publiées par les fonds ou leurs associations sont souvent trompeuses : le syndrome le plus classique, qu’on retrouve aussi dans les calculs faits sur le rendement des hedge funds, est de calculer les performances… en oubliant les fonds qui ont dépéri et qui donc ne rentrent plus dans les statistiques. L’AFIC a fait un gros effort de normalisation dans le domaine, qui a mon sens devrait être régulé et non pas reposer sur l’autodiscipline, de même qu’il faudrait imposer à tous les fonds d’être transparents sur leurs participations.
 
Cette situation, tant sur la face ange ou la face démon, illustre parfaitement une bonne vieille loi de la finance, qui dit qu’afin que la performance soit au rendez-vous, il faut que les managers soient surveillés par les investisseurs et défendent les intérêts de ces derniers. Les fonds de private equity sont plutôt bons en tant qu’investisseurs, par leur surveillance positive des managers des entreprises sous LBO. Mais ces mêmes fonds, ou plutôt leurs gérants, sont également bons pour échapper à la surveillance de leurs propres investisseurs et s’arroger de gros et gras packages personnels. En résumé, bon service rendu à l’économie, mais surtout bon service rendu à leur portefeuille sur le dos de leurs investisseurs.