On demande souvent : mais comment font les VC (venture capitalistes) pour évaluer des start-up naissantes ? Leur futur est on ne peut plus incertain, elles tiennent parfois sur deux ou trois feuilles de Powerpoint et, si elles rêvent de toucher la lune, elles font le plus souvent bulle de savon. Quel prix leur donnent-ils ?

La réponse est toute simple. En vérité, les VC n’évaluent pas les start-up. Ou plutôt, ils se font une idée du projet et de l’équipe qui le porte – un exercice délicat –, et, si satisfaits, investissent un montant assez forfaitaire, calibré pour assurer la première étape de la croissance. Et se gardent bien de prendre la majorité. Il y a une sorte de convention dans le monde des VC par laquelle la somme injectée (le «new money») fait grosso modo un tiers du capital après apport des fonds («post-money», dans le jargon). C’est plus le financement qui conditionne l’évaluation que l’inverse, ceci en rupture avec les méthodes classiques d’évaluation où la valeur d’une entreprise ne dépend pas ou très peu de son mode de financement.

Oui, mais à se satisfaire d’une évaluation forfaitaire, ne prennent-ils pas des risques inconsidérés ? La réponse est non, parce qu’ils se reposent fermement sur trois types de protection.

La première est habituelle en finance : la diversification. Même pour des projets dits de «tour A», c’est-à-dire après le «love money» assuré par la famille ou les proches, les investisseurs préfèrent ne pas venir seuls au capital. Il leur faut des petits tickets, mais nombreux et diversifiés.

La deuxième pourrait s’appeler le «tâtonnement», par lequel les investisseurs apportent les fonds pour une étape limitée et bien définie. Cela diffère des projets industriels mieux assurés où le plan d’investissement va de pair avec le plan de financement sur toute la durée du projet. Le prix est certes forfaitaire, mais on ne fait que tremper le bout du pied sur des montants réduits, quitte à ce que les initiateurs reviennent à eux une fois l’étape franchie. Les VC comptent bien d’ailleurs qu’on revienne à eux, ne serait-ce que pour garder un levier sur les fondateurs. L’exception vient des cas où un calcul stratégique commande de mettre beaucoup d’argent d’un coup, pour dissuader la compétition, pour «tuer le match».

Enfin, plus important peut-être que le prix initial, il y a le pacte d’actionnaire ou les statuts de la société. Y figurent des garanties, clauses contractuelles, options et autres, par lesquelles les investisseurs encadrent le prix et le risque. Ces garanties sont des formes de contrats d’assurance, impossibles à évaluer précisément, mais qui viennent réduire le prix financier facialement offert ou qui permettent aux investisseurs de limiter leurs pertes si le pari initial leur paraît erroné.

La principale famille de protections est l’émission de titres de nature différente entre fondateurs et investisseurs, ou entre anciens et nouveaux investisseurs. Le plus souvent, les droits des VC sont matérialisés par des AP (actions de préférence), très communes aux Etats-Unis (preferred stocks), ou des actions adossées à des bons de souscription d’actions, plus habituels en France.

Par rapport aux actions ordinaires, les AP protègent en cas de liquidation ou de revente à un prix bas et en cas de levée de fonds auprès d’autres investisseurs. Si l’entreprise est valorisée 100 post-levée de fonds, dont 40 sous forme d’AP, et qu’elle doit être revendue à un prix de 60, le VC porteur des AP aura la garantie d’être remboursé à 40, voire 40 plus des intérêts de portage (participating preferred). Il n’enregistrera de perte sur son capital que si la valeur de liquidation est inférieure à 40. De même, il pourra avoir la garantie en cas de nouvelle levée de fonds de n’être pas trop «dilué» : des actions gratuites lui sont données qui maintiennent son poids au capital.

D’autres techniques existent. Par exemple, le «ratchet» (ou cliquet) est une clause des statuts qui permet d’anticiper les conditions d’une augmentation de capital. Des clauses «good leaver» ou «bad leaver», i.e. bon ou mauvais partant, traitent des cas, plus ou moins douloureux, où il faut se séparer des fondateurs, etc.

Tout cela est affaire de rapport de force entre les nouveaux et les anciens actionnaires, bien entendu. Les fondateurs ont peu de levier à leurs débuts, mais bien davantage si le projet s’avère un succès. On a vu des sociétés comme Snap (le réseau social) ou Facebook où les fondateurs ont pu introduire leur société en Bourse sans donner un seul droit de vote à leurs nouveaux actionnaires. Cela à une étape où les techniques habituelles d’évaluation redeviennent pertinentes.

 

Cet article a été initialement publié par Option Finance le 25 septembre 2017. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation. Il a également été publié sur Vox-Fi le 2 octobre 2017.