Dans la crise carabinée que nous vivons, ce bon vieux capitalisme en prend pour son grade. Il faut dire que souvent il le cherche bien !

C’est le mécanisme de formation des prix dans les services financiers qui m’intéresse ici et qui intéresse tous les directeurs financiers qui en sont les consommateurs. D’une manière générale, les commissions payées sur ces services sont très élevées et ont même été croissantes au fil des ans. Ils assurent des profits tout à fait importants pour les banques d’investissement, grands consultants, courtiers et autres intermédiaires. Ils permettent aussi de payer les banquiers, traders, courtiers, avocats d’affaires… à des niveaux copieux, bien plus élevés en général que la rémunération des directeurs financiers, qu’on ne va pas pourtant chercher ici à plaindre. Pourtant, c’est un secteur de services incontestablement parmi les plus concurrentiels, même si la crise financière va réduire fortement le nombre des acteurs dans ce domaine. Question : pourquoi les règles de la concurrence ne font-elles pas baisser les marges et rémunérations des banques et des intermédiaires ? Au contraire même, il semble que cela joue à l’envers : plus il y a concurrence entre les vendeurs, plus les prix montent ! Par exemple, une mise en bourse coûte 7% à Wall Street, la place financière la plus concurrentielle, 5 à 6% à Londres, 3 % à Paris, la moins concurrentielle, et sans doute moins encore à Milan ou Madrid. Idem pour le M&A. La concurrence joue perversement à accroître les prix (et les salaires !) des banquiers.

On sait qu’il y a ici le même phénomène que pour le médecin ou le psychanalyste : plus c’est cher, plus le service est supposé de bonne qualité. Vous êtes certainement prêt à payer beaucoup plus que 20% plus cher pour le chirurgien qui a 20% de chances de plus de réussir ses opérations que les autres chirurgiens. De même, le prix est souvent opaque, et vous ne voyez pas ce que vous êtes en train de payer. Quelle est la commission du courtier par exemple, qui est enfouie dans la prime d’assurance ? Quelle est la marge de la banque dans un produit de change ou de taux ? Quelle est la commission de M&A qui n’est pas capitalisée au bilan et donc amortie au fil des années (désormais IFRS l’interdit) ?

Mais une cause importante me semble venir des coûts de commercialisation. Je suis une banque d’affaires. Je chasse un client, qui me met en compétition. Je fais mon prix selon la norme du marché, et j’investis comme un fou pour avoir le mandat : une semaine de travail pour la présentation commerciale. Chance de gain : disons 1 sur 5. Je rentabilise mes 4 coups perdants sur le 5ème mandat que j’obtiens. Si je dis pour simplifier que 100% de mes coûts sont des banquiers bonussés, l’accroissement de la compétition (baisse de la probabilité de succès) augmente donc le prix. La quasi-rente qu’est capable d’extraire la banque sur son client va d’ailleurs essentiellement à ses salariés, puisque la libre entrée sur le marché réduit la part qu’elle peut garder. Et c’est bien vrai sur la durée : les banques d’affaires perdent joyeusement une fois tous les 5 ou 10 ans les majestueux profits qu’elles ont accumulés, comme le montre la présente crise.

C’est le mécanisme qu’on observe aussi pour l’assurance-vie. Les assureurs se battent au couteau pour attraper les clients. Les coûts  commerciaux pour acquérir une police sont égaux à un an de primes, coûts qui sont bien sûr facturés au client. Là encore, plus de concurrence du côté de l’offre, plus de prix ! C’est ce mécanisme pervers qu’a expérimenté le gouvernement chilien quand il a privatisé l’assurance vieillesse, en abandonnant son système de sécurité sociale, au prétexte de sa position de monopole et de ses inefficacités, vraies ou supposées. Et pourtant le coût du système n’a fait que croître, obligeant le gouvernement à réguler les commissions de gestion demandées. Je regarde le marché publicitaire un peu comme cela. L’Oréal intervient dans un des marchés les plus concurrentiels au monde, celui des produits de beauté. La bagarre est on ne peut plus rude autour du consommateur, surtout dans les marchés saturés d’Europe de l’ouest. Les coûts publicitaires de L’Oréal sont égaux à 30% de son chiffre d’affaires (contre des frais de R&D de 5%) et répercutés dans ses prix. Elle est donc prise dans un jeu stratégique qu’elle ne peut refuser de jouer, au prix de sa part de marché. Si le marché de la beauté est stable, c’est pourtant un jeu à somme nulle : elle ne gagnera jamais rien en moyenne si les concurrents adoptent le même comportement, ce qu’ils font s’ils sont rationnels (les économistes appellent cela un équilibre de Nash). Entre temps, les prix ont monté pour les consommateurs, évidemment jusqu’à un certain point.

Je crois encore mais sans en être sûr que c’est le même mécanisme qui prévaut pour les agences immobilières. Je suis preneur d’une explication auprès des lecteurs de ce blog. Il n’y a aucune barrière à l’entrée dans ce secteur. N’importe qui peut ouvrir son échoppe. Et pourtant, dans ce marché au couteau, il n’y a pas (ou peu) de rabais sur les 5% de commission. L’immobilier avait doublé en dix ans, et donc le niveau en euros de la commission, alors que le service restait le même. L’équilibre se fait en augmentant la file d’attente pour avoir les mandats.

Au total, plus il y a de concurrence entre les vendeurs, plus le prix monte. A faire s’arracher les cheveux à un régulateur de la concurrence.


François Meunier