Quand les bisons vaquaient nombreux dans les plaines du Midwest
Ceux qui ont vu le film « Danse avec les loups » se rappellent à coup sûr cette scène saisissante : des milliers de bisons jonchant le sol, massacrés et écorchés par des trafiquants de peaux, et laissant ébahis la tribu d’Indiens pourchassés par l’armée américaine. Eh bien, cette scène est fidèle à l’histoire et s’est reproduite maintes fois.
Vox-Fi reproduit un extrait d’un article de recherche : The Slaughter of The Bison and Reversal of Fortunes on the Great Plains, par D. Feir, R. Gillezeau et M. Jones. L’extrait a été fortement édité, en supprimant notamment les références bibliographiques. On lira l’épilogue à la fin, de nature plus économique.
Avant la colonisation européenne, entre 10 et 30 millions de bisons parcouraient le territoire délimité par les Rocheuses et les Appalaches, les États mexicains de Chihuahua et de Coahuila et les territoires du Nord-Ouest canadiens. Les preuves anthropologiques suggèrent que les peuples autochtones de ces régions ont chassé le bison pendant au moins 10 000 ans avant le contact avec les Européens. Le bison constituait une source fiable de nourriture et de richesse. Tout dans l’animal avait son utilité : les peaux étaient assouplies et tannées pour les vêtements, les couvertures, l’art et le logement. Les cervelles étaient utilisées comme graisse pour le tannage des peaux, les os formaient des outils, la moelle était consommée pour son contenu nutritionnel et les estomacs étaient transformés en sacs ou en récipients. La viande de bison était souvent séchée pour être conservée, ou bien combinée avec des baies transformées et de la graisse de bison pour produire un mélange appelé pemmican. Enfermé dans un sac fabriqué à partir de l’estomac du bison, le pemmican pouvait être conservé pendant des années et permettait aux peuples chasseurs de subsister pendant les périodes de pénurie alimentaire. En partie grâce à l’abondance du bison et à cette capacité de conservation, ces peuples faisaient partie des plus riches d’Amérique du Nord et étaient sans doute aussi bien lotis que leurs homologues européens de l’époque.
Des travaux récents suggèrent que les sociétés dépendantes du bison avaient des systèmes bien définis de propriété sur les terrains de chasse, des sites de résidence permanents, des réseaux de parenté complexes et des relations de pouvoir conçus pour s’assurer des meilleurs troupeaux de bisons. Ces sociétés cultivaient également les herbes courtes préférées du bison pour favoriser son épanouissement.
Si les méthodes de chasse et d’utilisation du bison ont évolué au fil du temps, passant des lances et des chiens au tir à l’arc, le plus grand changement s’est produit lorsque le cheval a été introduit en Amérique du Nord. Les chevaux se sont répandus depuis les régions d’Amérique du Sud contrôlées par les Espagnols jusqu’au nord du Canada, probablement par le biais de routes commerciales indigènes préexistantes. Dans les années 1650, les colons prirent conscience de la présence d’Amérindiens à cheval après avoir rencontré les cavaliers apaches. L’introduction du cheval a diminué les coûts associés à la chasse au bison, ce qui a conduit certaines sociétés à délaisser l’agriculture au profit de la chasse au bison. Elle a cependant apporté aux habitants des Grandes Plaines les premières vagues de maladies européennes, via les marchands de chevaux qui avaient été exposés aux Européens.
Le premier contact direct de ces sociétés avec les Anglais et les Français s’est fait indirectement par le commerce des fourrures. Les peaux de bison et le pemmican étaient échangés, bien qu’aucune de ces denrées ne soit aussi lucrative que les fourrures recherchées pour être revendues en Europe. Les peuples tributaires du bison tannaient les peaux depuis des siècles, mais le processus demandait beaucoup de travail et le cuir non traité provenant des peaux de bison n’était pas commercialement viable d’un point de vue européen. Le rythme de l’extermination du bison s’est considérablement accéléré avec la construction du chemin de fer de l’Union Pacific entre 1863 et 1869. Une fois le chemin de fer terminé, les colons ont eu un accès sans précédent aux troupeaux de l’intérieur. Malgré cela, les récits historiques suggèrent que les colons et les communautés autochtones n’avaient pas prévu une extermination aussi rapide du bison. En fait, la construction du chemin de fer à travers les Grandes Plaines a été rendue possible grâce à une série de traités que les États-Unis ont négociés à la fin des années 1860 avec les Apaches, les Cheyennes, les Kiowas et les Comanches au sud, et les Sioux du Nord-Ouest et les Cheyennes du Nord. Grâce à ces traités, les nations ont échangé de grandes étendues de leurs territoires ancestraux contre des biens publics, des rentes et un droit exclusif de chasser les troupeaux de bisons, les protégeant contre la chasse par les colons.
Le sort du bison a changé en 1871 lorsque des tanneurs d’Angleterre et d’Allemagne ont mis au point une méthode commercialement viable de tannage des peaux de bison. La demande européenne de peaux a grimpé en flèche et, en réponse, les chasseurs de peaux ont inondé le territoire des bisons. On estime qu’en 1875, un million de peaux de bison ont été expédiées des États-Unis vers la France et l’Angleterre seulement. Les chasseurs de peaux se sont d’abord concentrés sur le troupeau du sud, plus accessible, et au printemps 1874, les troupeaux des plaines moyennes avaient été décimés. Un pays autrefois « noir et brun de bisons était devenu blanc des os blanchis au soleil ». En 1879, le troupeau du sud était complètement éliminé. Plusieurs chercheurs ont affirmé que le massacre des bisons n’aurait pas eu lieu si les droits de propriété avaient été bien définis. Or, ils étaient parfaitement définis par le biais des traités signés ; mais ils n’étaient tout simplement pas protégés. Les responsables militaires croyaient que les peuples autochtones ne s’installeraient pas vraiment dans les réserves tant que les bisons n’auraient pas été exterminés. Les généraux encourageaient activement leurs troupes à tuer les bisons pour la nourriture, le sport ou la « pratique », ou encore pour réduire la force des traités. Les bisons ont été exterminés dans le nord du Montana et de la Saskatchewan en 1878 ; dans le Wyoming et l’Alberta en 1880 ; la dernière chasse au bison par les Sioux a eu lieu en 1882 ; et le dernier bison du territoire restant a disparu en 1883.
Ainsi, en moins de deux décennies, le noyau économique et social des grandes nations du bison a disparu. Au début des années 1880, il n’y avait plus de bisons, peu de gibier et des réserves alimentaires gouvernementales insuffisantes ou inexistantes. Les archives des postes de traite, des chefs autochtones, des fonctionnaires des Affaires indiennes et des médias font état d’une malnutrition et d’une faim généralisées parmi les populations autochtones. Les communautés ont eu recours à la consommation de chevaux, de mules, de nourriture souillée et de vieux vêtements pour éviter la famine. La ressource qui sous-tendait des siècles d’acquisition de savoir-faire a ainsi été éliminée. Certaines communautés ont eu recours à la collecte des os de bison qui jonchaient les plaines après l’abattage et à leur vente comme engrais. L’activité économique et la mobilité étaient sévèrement limitées pendant cette période et laissaient peu de possibilités d’adaptation aux Amérindiens, du moins au début. Les Amérindiens ont été confrontés à des contraintes strictes quant à leur liberté de mouvement au cours de la seconde moitié du 19e siècle et au début du 20e siècle. Les Amérindiens devaient généralement obtenir la permission d’un agent des Indiens pour quitter la réserve et les départs étaient découragés. Ce n’est qu’avec l’adoption de la loi sur la citoyenneté indienne en 1924 que les peuples indigènes ont obtenu la liberté de mouvement aux États-Unis, mais cela ne s’appliquait qu’à ceux nés après 1924. La liberté complète n’a été acquise qu’en 1940.
Épilogue
Les auteurs démontrent dans leur article que « la disparition du bison a eu des conséquences immédiates et négatives pour les Amérindiens qui en dépendaient et a entraîné un renversement permanent de leur sort. Alors qu’ils comptaient autrefois parmi les peuples les plus grands en taille du monde, cet avantage a été perdu après le massacre. Au début du vingtième siècle, la mortalité infantile était supérieure de 16 points de pourcentage et la probabilité de déclarer une profession inférieure de 29,7 points de pourcentage dans les nations dépendantes du bison par rapport aux nations autochtones qui n’ont jamais été dépendantes du bison. Jusqu’à aujourd’hui, le revenu par habitant est resté inférieur de 28 %, en moyenne, dans les nations à bisons. Nous apportons la preuve que ce choc historique a modifié la trajectoire dynamique du développement des nations anciennement dépendantes du bison. »