Les États-Unis et la France (et avec la France l’ensemble de l’Europe) ont suivi des approches très différentes en matière de soutien à l’économie face à la pandémie. Aux États-Unis, on a cherché principalement à soutenir les gens qui pouvaient tomber en chômage (le CARES Act), c’est-à-dire à fournir temporairement aux salariés un filet de sécurité qui en temps normal n’existe pas vraiment. En France, et plus largement en Europe, l’approche a été de maintenir à tout prix la relation de travail. L’État s’est donc largement substitué aux entreprises qui connaissaient une baisse d’activité dans le paiement des salaires (chômage partiel). L’aide aux ménages a transité par les entreprises en France ; elle a été directe aux États-Unis. Il y a eu toutefois en complément aux États-Unis une aide directe aux PMR-PME, le programme PPP, sous forme d’un prêt annulable, distribué par les banques, si l’entreprise arrivait à conserver ses effectifs salariés.

Jérémie Cohen-Setton et Jean Pisani-Ferry en font un topo très complet dans un Policy Brief du Peterson Institute. Ils notent, c’est l’objet du graphique de la semaine, que l’aide aux États-Unis a été près du double de ce qu’on a connu en France.

 

 

Programme double, efficacité double ?  Il n’en est rien. Les auteurs jugent que l’efficacité totale a été nettement moindre qu’en France. Le graphique suivant montre la variation du taux de chômage entre décembre 2019 et mai 2020 dans les deux pays :

 

Comment expliquer un tel écart dans le rapport qualité / prix. Deux choses principalement.

  • Forts d’un marché du travail plus fluide, les entreprises américaines ont fait ce qu’elles font toujours, ne pas hésiter à licencier, espérant à terme pouvoir réembaucher. Mais il y a un coût économique (et humain) dans la rupture du contrat de travail. En Europe, les relations salariales ont été globalement maintenues.
  • Le programme PPP d’aide directe aux petites et moyennes entreprises (le programme PPP) a été mal conçu, Il était à la fois très dispersé et très mal ciblé. Par exemple, un quart du montant du prêt pouvait être utilisé pour des dépenses autres que le maintien de l’emploi, de sorte qu’un grand nombre d’entreprises qui ne connaissaient aucune difficulté se sont précipité sur le prêt.

Les auteurs ajoutent :

« Le dispositif américain est également plus coûteux parce que pour mettre le revenu des ménages américains à l’abri des retombées du plus grand choc économique depuis la Seconde Guerre mondiale, il a fallu mettre en place de nouveaux programmes pour maintenir les familles entières. En France, comme le filet de sécurité est plus étendu et qu’une plus grande partie du revenu disponible français n’est pas affectée par les hauts et les bas des cycles économiques, l’envoi de chèques directs ou l’octroi d’allocations de chômage plus généreuses étaient pour la plupart inutiles. »

Évidemment, on n’est pas au bout de la route. Il faudra surveiller comment les entreprises françaises sortiront du programme de chômage partiel. Mais, disent les auteurs, « en tant que réponse immédiate à la crise, l’approche française (et européenne) a sans aucun doute offert un meilleur rapport qualité-prix ».

Un dernier point concerne les effets d’aubaine et les mauvais ciblages des programmes d’aide ponctuelle aux ménages. En France, certains ont critiqué la générosité du programme de chômage partiel (84% du salaire net) qui ont pu pousser des entreprises à profiter du programme tout en maintenant leurs salariés au travail.

Mais il semble qu’on observe un « gaspillage » d’une toute autre envergure dans les mesures prises par le gouvernement américain. Un mot à nouveau sur le PPP, semble-t-il une jolie passoire si l’on en croit cet article du Wall Street Journal, disponible sur Yahoo. Pour le citer :

Les 521 Md$ du programme sont aussi allés vers les firmes aux reins solides et bien connectées politiquement, dont des cabinets prestigieux d’avocats, des fonds de philanthropie, des chaines de restaurants et des gérants de fortunes.

Mais c’est le cas aussi pour le programme CARES d’aide directe aux ménages. Une des dispositions de la loi crée une prestation hebdomadaire supplémentaire de 600 $, conçue pour remplacer 100 % du salaire moyen aux États-Unis lorsqu’il est combiné aux prestations moyennes de l’assurance-chômage de l’État.

Or, voici ce qu’en disent les auteurs trois chercheurs de l’Université de Chicago, Peter Ganong, Pascal J. Noel et Joseph S. Vavra, dans un papier très récent :

Tel que conçu, nous constatons que le rapport entre les prestations moyennes et les gains moyens dans les données de CARES est d’environ 100 %. Toutefois, […] nous constatons que 68 % des chômeurs qui ont droit à l’assurance-chômage recevront des prestations supérieures à la perte de revenus. Le taux de remplacement médian est de 134 %, et un chômeur sur cinq ayant droit à l’assurance-chômage recevra des prestations au moins deux fois plus élevées que sa perte de revenus. […] Les gardiens travaillant dans des entreprises qui restent ouvertes ne reçoivent pas nécessairement de prime de risque, tandis que les concierges au chômage qui ont travaillé dans des entreprises qui ont fermé peuvent percevoir 158 % de leur salaire antérieur.

Au total, les États-Unis ont dépensé deux fois plus pour une efficacité moindre en termes de protection des ménages. Ce surcroît de revenu distribué dans l’économie aura bien sûr des effets stimulants, de sorte qu’il est possible que l’économie américaine rebondisse plus vite que l’économie française, comme elle le fait habituellement. Mais le dommage subi sur les travailleurs américains aura un impact durable.