Vous vous rappelez certainement de cette fameuse bande dessinée d’Astérix : Panoramix, c’est le druide du village d’Astérix, pour lequel il prépare la potion magique. Rigoureusement tenue secrète, celle-ci donne une force exceptionnelle pendant un certain temps à celui qui la boit…mais malheur à celui qui demande la mauvaise recette car elle peut devenir une lotion capillaire extrêmement puissante qui fait pousser rapidement barbes et cheveux sans arrêt (Astérix le Gaulois), une potion rendant léger comme l’air celui qui en boit (le Combat des Chefs), un antidote et un antipoison (Astérix et Cléopâtre, Astérix chez les Helvètes) ou finalement un revitalisant dont l’effet secondaire est l’amnésie (Le Grand Fossé). Est-ce que nos fameux économistes auraient essayé de jouer au druide pour reconstituer la fameuse potion magique de Panoramix ?

 

Une pensée keynésienne débridée durant ces dernières années (les crises sont conjoncturelles, le gonflement du déficit et une politique monétaire accommodante), des hésitations (voire des retournements de posture) entre austérité et réduction des déficits publics, des préconisations sur la finance mondiale et les règles comptables pour éviter la réalité des événements et enfin des errements en fonction d’aspects politiques ou tout simplement d’existence financière de certains professeurs consultants, de présidents de cercles d’économistes ou de «think-tank»…

 

Est-ce que nos économistes n’auraient plus leurs capacités de penser, de réfléchir, de proposer des solutions ? Ou est-ce qu’ils se seraient perdus face à des situations complexes,  inédites,  mouvantes et globales face auxquelles ils joueraient aux apprentis sorciers ? Ou est-ce que, conscients ou inconscients des effets collatéraux de leurs recommandations du moment, ils ont préféré jouer la montre pour éviter d’être le messager porteur des mauvaises nouvelles?… Alors on invente le déficit structurel pour le temps de la reprise à venir, dans une crise porteuse de déficit conjoncturel.

 

J’ai eu la chance de participer à une conférence de Denis Kessler, Président de SCOR. Son constat de la situation économique actuelle est sans appel: « la sagesse vient de la contrainte, se donner 2 ans de plus pour réduire le déficit a desserré l’étau de la réduction de la dette. La divergence entre la France et l’Allemagne est explosive, sans réforme structurelle importante, les tensions vont s’accentuer. Une bulle d’endettement malsaine a été créée avec des taux d’intérêts mal positionnés aux conséquences économiques colossales. La règle d’OR, c’est qui a l’or qui fait la règle. »

 

En général nos économistes savent très bien expliquer le passé  – je vous laisse l’opportunité de lire le très bon livre d’Elie Cohen : « Penser la Crise » : analyse exhaustive des causes, malheureusement des recommandations mesurées dont il semble très sceptique quant à leur mise en œuvre -, ces derniers devraient donc être d’accord avec moi concernant les quelques raisons majeures qui permettent d’expliquer la situation économique actuelle:

  1. Des politiques monétaires laxistes 2001-2006 qui ont favorisé l’endettement des acteurs privés et des taux toujours maintenus artificiellement bas à ce jour…
  2. Des plans de relance au lendemain de crise qui ont fait exploser la dette publique de 30 points de PIB depuis 2008, à la fois aux USA et dans la zone Euro
  3.  Une masse de dettes accumulées depuis le début des années 2000 qui reste à résorber.
  4. Un endettement qui n’a pas servi à financer des dépenses productives

Et c’est probablement ce dernier point le plus grave : cet endettement a principalement financé la dépense publique dont les prestations sociales, les retraites… entre 1978 et 2011, la dépense publique a progressé de 11.3 points de PIB (source INSEE, Direction du budget) dont 7.4 points liés aux prestations sociales, dont 1.6 point à des dépenses de transfert, dont 0.8 aux dépenses de fonctionnement, dont 1.6 point au paiements des charges d’intérêt ; et le solde, est un recul de 0.1 point des dépenses publiques d’investissement ! Et que dire, dans ces investissements, de nos 30,000 ronds-points avec un coût compris entre 100 K€ et 1 M€ dont 30% pour la seule décoration… mais comme François Meunier commente très justement: « c’est Keynes qui disait quelque chose comme derrière toutes les idées politiques qui sortent, il y a celle d’un ancien économiste qui sommeille ». Quelle entreprise pourrait survivre à des dépenses uniquement d’ordre sociales, de décoration des bureaux, de parkings, etc. sans penser à investir dans son avenir, sa production ou son développement…

 

Ils (nos économistes et nos gouvernements sous leurs influences) ont pensé que 1) le laisser-aller du déficit éviterait d’amplifier la crise et d’accentuer les pressions sociales et 2) la politique de taux bas éviterait la déflation, allégerait les charges financières des états, et faciliterait la liquidité de l’économie. Sauf que les ingrédients de la potion magique de nos apprentis druides Panoramix ont créé des effets secondaires oubliés avec l’explosion de la dette publique, l’explosion du bilan des dettes sociales et la recherche inéluctable de nouvelles ressources fiscales en l’absence de véritable reprise économique….

 

Cette bulle de la dette –ou plutôt des dettes- ont principalement 5 véritables façons de se dégonfler, sous réserve d’avoir le temps nécessaire pour les accompagner:

  1. Une croissance économique forte et rapide…
  2. Des mesures d’austérité ou, plus exactement, la baisse des dépenses publiques » d’une part, et « les réformes structurelles » d’autre part
  3. Le défaut de paiement
  4. La répression financière
  5. Et l’inflation

 

Prenons les dans l’ordre d’apparition :

Une croissance économique forte et rapide : ce taux nécessaire pour ramener les déficits à 60% est devenu hors de portée pour de nombreux pays. D’ailleurs, une analyse faite par HSBC illustre parfaitement les taux de croissance nominaux au-dessus de la croissance tendancielle pour atteindre un taux d’endettement de 60% du PIB, en supposant un coût du financement constant et un profil d’équilibrage de la balance primaire sur 10 ans :  il faudrait alors environ 5% pour le Royaume-Uni, 6.5% pour la France, 7.5% pour les Etats-Unis, 10% pour l’Italie, 15% pour le Japon, 21% pour le Portugal et près de 50% pour la Grèce… a contrario, cela est plus raisonnable pour l’Allemagne avec 2.5%, les Pays-Bas à 3% et la Canada à 3.5%… Pour la plupart des pays, ces scenarii sont impossibles à atteindre avec les perspectives actuelles de croissance, le financement des engagements sociaux, la dégradation de la compétitivité… et la croissance économique ne se décrète pas, elle ne peut exister que si la demande est supérieure à l’offre, si la demande intérieure est soutenue par le pouvoir d’achat et la confiance, si la demande extérieure est soutenue par l’innovation, la recherche, l’éducation, la qualité des produits (voir le made in Germany), etc…  et donc

 

Les mesures d’austérité fâchent l’opinion publique, ce qui fait reculer la clarté du discours des gouvernements et des politiques plus occupés à leur propre réélection qu’au bonheur futur de leurs concitoyens…  Les baisses des dépenses publiques engendrent des troubles sociaux, la réforme de l’Etat fâche les politiques, les augmentations d’impôts au nom de la justice sociale réduisent les volontés ou capacités d’investissements de la population qui a les ressources nécessaires, l’absence de vision claire et transparente entraine la lassitude des populations sans espoir de fin du tunnel… ce refus politique de baisse des dépenses publiques pourrait être un alibi à ne pas faire les réformes structurelles nécessaires alors même que celle-ci devrait être une incitation à les réformer profondément. Nos économistes en sont également responsables par l’absence d’un consensus affiché et par les batailles de chiffres sans fin… et sans réelle volonté de s’accorder sur les causes.

Le défaut de paiement est très tentant : remettre les compteurs à zéro, seul moyen de repartir comme avant. C’est ce qui se passe au jeu du Monopoly quand vous avez tout perdu après avoir emprunté et cédé tous vos terrains et immeubles… Pour un pays, cela reste une solution théorique puisque vous perdez l’accès aux marchés, mais reste à regarder des pays comme l’Argentine en son temps, l’Islande qui a refusé de rembourser des avoirs détenus par des banques locales a contrario de la Grève qui a été subventionnée par l’Union Européenne – rien de plus normal si nous faisions la balance des appels d’offre remportés par les pays européens dont l’Allemagne. Scénario irréaliste… pas sûr à 100% avec un Euro qui freine toute dévaluation compétitive pour un pays ou un ensemble de pays…. Et si cela pouvait d’organiser pour éviter l’implosion

 

La répression financière bat son plein dans une économie qui n’arrive plus à retrouver son souffle. Nos anciens rois inventaient de nouveaux impôts comme la gabelle pour financer leurs propres turpitudes, gabegies incontrôlées ou guerre;  nous pouvons citer l’excellent livre d’Irène Inchauspé, L’horreur fiscale: 84 nouveaux impôts ont été créés entre 2011 et 2013 mais il existe encore aujourd’hui 460 niches fiscales! Nos gouvernants depuis plusieurs décennies s’attaquent à la partie visible via l’impôt, mais que dire du rachat par l’Etat de ses propres titres / créances, rachat favorisé par des taux d‘intérêt, qu’il remet sur le marché au détriment de l’épargnant qui devient propriétaire, sans le savoir via l’assurance vie ou les livrets d’épargne, de créances sur l’Etat. L’inflation resterait la dernière mesure… les taux d’intérêts réels proches de zéro -mais des taux réels négatifs-, le gonflement des bilans des banques centrales et une reprise économique débridée pourrait conduire à des retours inflationnistes, probablement pas à court-terme….

 

En conclusion de ces réflexions, l’hypothèse d’une croissance économique forte et rapide pour la France est très faible voire inenvisageable à court terme, l’inflation reste maîtrisée sur le court/moyen terme, le défaut de paiement n’est guère envisageable… il reste donc les mesures d’austérité et/ou la répression financière. La France avec près de 100% de son PIB en dette -dont plus de 60% détenus par des fonds étrangers- ne peut pas jouer les équilibristes indéfiniment. Des pays comme la Grèce ou l’Espagne, qui ont pris des mesures drastiques pour réduire leurs dettes respectives, essayent de faire –et pourraient réussir- les réformes nécessaires, le Royaume Uni a réduit de 10% ses dépenses publiques en 3 ans, la France serait alors le pays sacrifié sur l’autel de son addiction à la dette publique –cf. l’excellente chronique de Jean-Marc Vittori parue le 8 avril dans Les Echos.

 

Les problèmes structurels français existent depuis 30 ans, notamment l’addiction à la dette publique pour financer des dépenses publiques -à l’époque de la retraite à 60 ans, les politiques savaient déjà que le modèle français des retraites par répartition ne pourrait pas tenir -mais ils l’ont fait !-, idem pour les 35 heures- ou un coût du travail élevé -qui ne nous permettra jamais de concurrencer des pays à bas-coûts, etc… Prenons l’exemple américain –avec leurs défauts et qualités : la « réindustrialition »  se fait par le biais de la connaissance, de l’innovation, la recherche, les universités et de l’intelligence, plutôt que par la baisse du coût du travail.

 

Devant cette situation délicate mais pas désespérée, les économistes français ont le devoir de dire la vérité, de la partager entre eux et de trouver le consensus pour ne parler que d’une seule voix, au-delà des clivages politiques. Tel Panoramix, ils doivent donner la sagesse à nos gouvernants et à nos syndicats, la potion d’espoir et la force à tous les citoyens…