Quand nos religieux du Moyen-Âge justifiaient – avec réserves – la monétisation de la dette
Nous sommes au 14ème siècle. Les temps avaient évolué, et, à la suite notamment de Thomas d’Aquin, de Pierre de Jean Olivi et Nicolas Oresme, les maîtres scolastiques étaient bien mieux avertis du fonctionnement d’un système monétaire. La monnaie était vue comme une sorte de sang qui irriguait le corps social, et, plus encore, n’était nullement inféconde : elle était la contrepartie des biens qu’elles pouvaient acheter.
Ainsi Gabriel Biel, dans son De potestate monetarum, pouvait écrire :
« En effet, la monnaie est l’objet équivalent aux richesses qui existent en nature qui en permet l’échange […]. Lorsque quelqu’un cède son propre pain ou le travail de son propre corps en échange de l’argent, cet argent, dès qu’il est en sa possession, est à lui de la même manière que le pain et le travail étaient à lui et inconditionnellement en son pouvoir. »
Un pas politique était franchi : si le détenteur de la monnaie en est bien le propriétaire, le roi ou le prince n’en étaient propriétaires qu’à hauteur du montant qu’il y a dans les coffres du Trésor (à une époque où il n’y avait pas encore la distinction entre les biens du souverain et les biens publics). En tout cas, ils n’avaient certainement le droit de décider de sa « mutation », c’est-à-dire en termes modernes de sa dévaluation.
La monnaie n’était donc pas naturellement un privilège souverain, ce qui résonne curieusement à nos oreilles habituées au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif – ou d’un bras indépendant et non démocratique (la banque centrale) – dans la gestion de la monnaie.
Il fallait pourtant accepter qu’à certains moments, il soit impossible de financer certaines dépenses publiques seulement par le jeu de la levée d’impôts ou d’emprunts. On devait user d’expédients, ne serait-ce que par rapidité comme lors d’une guerre déclarée, et donc envisager le financement monétaire de l’État. Mais avec garde-fous.
Ainsi, le même Gabriel Biel écrit :
« Dans un seul cas le prince peut tirer un gain de la monnaie, et c’est quand ce gain se révèle utile à l’État […], par exemple lorsque le prince a besoin d’une aide pour défendre l’État et que ses sujets sont contraints de la lui donner, alors on peut effectuer des altérations monétaires, en diminuant le poids et la qualité du métal, mais en conservant sa valeur nominale, de sorte qu’on porte moins de préjudice au peuple, et à condition que ce gain du prince ne dépasse pas son besoin réel. De toute manière, cette altération monétaire ne doit pas se réaliser sans le consentement des sujets, auxquels la monnaie appartient. Néanmoins quiconque peut renoncer à son propre droit […], et une communauté peut faire la même chose. »
Évidemment, une chose et son contraire sont dites dans la même phrase : la communauté politique doit donner son accord à tout changement monétaire, c’est-à-dire à un financement par la monnaie des finances publiques ; mais elle peut renoncer à exercer son droit et le laisser une fois pour toutes entre les mains du souverain.
Il semble bien que nos souverains modernes n’aient retenu que la deuxième partie de la phrase.
(Les citations sont tirées d’un remarquable livre : « Les Marchands et le Temple. La société chrétienne et le cercle vertueux de la richesse du Moyen-Âge à l’époque moderne », Giacomo Todeschini, Albin Michel, 2017, p. 315.)