Si les années 1980 et 90 furent celles des introductions en Bourse, les 25 dernières années ont vu un succès croissant du private equity avec des entreprises qui se financent très longtemps par des business angels et des fonds de capital-risque . Aussi, beaucoup d’entreprises cotées ont décidé de sortir de la cote. Pour la première fois en 2016, aux États-Unis, les sorties de cote ont été plus nombreuses que les introductions en Bourse. La sortie de la cote de Dell en 2014 a particulièrement marqué les esprits, Michael Dell expliquant qu’elle résultait d’un choix stratégique de privilégier l’innovation et de se détacher de la pression court-termiste des marchés.

L’article que nous présentons ce mois[1] s’interroge sur les raisons et le timing des sorties de la cote volontaires, du type de celle de Dell. Il propose pour la première fois (en tout cas dans une revue majeure) un modèle théorique de sortie de la cote, et teste ce modèle sur un large échantillon international.

L’idée du modèle est de présenter la sortie de la cote comme une décision prise par le majoritaire selon ses intérêts propres, et dans certains cas au détriment des minoritaires. Cette décision résulte d’un compromis entre les avantages pour le majoritaire de rester coté (principalement l’extraction de bénéfices privés au détriment des minoritaires) et les inconvénients (par exemple les coûts liés aux obligations de divulgation).

Remarquons que la construction même du modèle par les auteurs n’est pas flatteuse pour le financement coté, puisque l’argument de la performance de l’entreprise joue toujours en faveur de la sortie. Le maintien dans la cote n’est ici justifié que par des problèmes d’agence[2]. Cette vision est bien entendu simpliste mais c’est le principe même d’un modèle que de simplifier la réalité pour tenter d’en comprendre un aspect.

L’article ne porte pas sur l’optimalité de la cotation en tant que telle, les auteurs cherchent surtout à identifier ce qui déclenche, à un moment donné, la décision de sortir de la cote. Pour cela, des variables telles que le pourcentage de détention du majoritaire, le degré de protection légal des minoritaires, la politique de distribution, le taux de croissance et le risque de l’entreprise sont pris en compte. Aussi, dans le modèle, la sortie de la cote permet au majoritaire de s’approprier l’information sur les perspectives de l’entreprise, alors que les obligations liées à la cotation en font une connaissance commune.

Le modèle sert de support à une étude statistique permettant de mesurer l’impact de ces différents facteurs sur la décision de sortir de la cote. Les auteurs ont utilisé un échantillon très large de plus de 26 000 entreprises cotées dans 26 pays différents entre 1990 et 2020. La dimension internationale de l’échantillon permet d’inclure le degré de protection légal des minoritaires et le coût des obligations de divulgation dans l’analyse. Parmi ces entreprises, 8 575 sortent de la cote pendant la durée d’observation. Les auteurs focalisent leur attention sur les 832 sorties volontaires. En effet, dans la grande majorité des cas, les sorties de la cote ne résultent pas d’un choix spécifique, mais sont la conséquence d’un autre événement (fusion, acquisition, faillite). L’analyse permet de mesurer l’importance des différents arguments dans la décision de sortir de la cote.

Le facteur le plus déterminant statistiquement est le taux de détention par le majoritaire. En moyenne, le majoritaire détient 35 % lorsque l’entreprise est volontairement sortie de la cote, contre 31 % sur l’ensemble de l’échantillon. L’écart peut sembler faible, mais compte tenu de la taille de l’échantillon il est très significatif. L’interprétation proposée par les auteurs est que les majoritaires peuvent extraire davantage de bénéfices privés au détriment des minoritaires lorsque ces derniers détiennent une plus grande part du capital, donc lorsque la part du majoritaire est plus faible. De même, la sortie de la cote est plus fréquente, toutes choses égales par ailleurs, lorsque la réglementation protège les minoritaires. Ces deux observations sont compatibles avec l’idée que le majoritaire pourrait éviter ou retarder les sorties de la cote en raison de problèmes d’agence. Aussi, les sorties de cote sont un peu plus fréquentes lorsque les perspectives de croissance sont importantes.

L’existence d’un compromis entre bénéfices privés du majoritaire et perspectives économiques tel que modélisé par les auteurs est corroborée par l’observation, sur un échantillon très large. Il convient cependant de rester prudent sur l’interprétation des résultats, l’analyse étant fondée sur un modèle aux hypothèses fortes et qui présuppose une supériorité du financement non coté pour favoriser la croissance. Pour autant, retenons l’élément le plus factuel de cette analyse : les facteurs associés à des problèmes d’agence (taux de détention, environnement réglementaire) sont plus déterminants que les facteurs économiques (risque et perspectives de croissance) lorsqu’il s’agit de sortir volontairement de la cote.

[1] A.Azevedo, G.Colak, I. El Kalak Et R.Tunaru (2024), “The timing of voluntary delisting”, Journal of Financial Economics, vol. 155.

[2] Pour les problèmes d’agence, voir le chapitre 28 du Vernimmen 2024.

 

Cet article a été publié sur le Vernimmen 2024.