Le nouveau président américain est pour le moins imprévisible. Or, l’incertitude est l’ennemi des affaires. Quel sera, dès lors, le véritable impact de la campagne « pro-business » menée par le président Trump sur la régulation des entreprises et les poursuites en droit pénal des affaires ?

 

La nouvelle politique en matière de corruption qui sera menée prochainement par les autorités de poursuite américaines envers les entreprises étrangères est d’autant plus attendue que le nouveau président « America First » se plaît parfois à tenir des propos extrêmement xénophobes.

A cela s’ajoute l’influence de la loi Sapin II récemment entrée en vigueur en France, laquelle présente des traits de ressemblance avec le modèle américain anticorruption très poussé de l’ère « pre-Trump ».

Avant qu’il ne se porte candidat à la présidence, Donald Trump avait plaidé l’abolition de la loi dite « Foreign Corrupt Practices Act » (FCPA)1 qu’il qualifiait « d’horrible », estimant qu’elle plaçait les entreprises américaines dans une position de net désavantage par rapport aux entreprises étrangères.

Toutefois, les nouveaux responsables du Department of Justice (DOJ) et de la Securities Exchange Commission (SEC), bien qu’étant issus de grands cabinets de droit des affaires, veillent à assurer une certaine constance dans la conduite de la politique anticorruption.

 

Priorité à la coopération internationale contre les personnes physiques

A titre d’exemple, Monsieur Trevor McFadden, le nouveau chef de la Fraud Section du DOJ (responsable des poursuites FCPA), lors d’un discours prononcé le 16 février 2017 à Washington, a assuré que le DOJ continuera de combattre vigoureusement la corruption et la fraude, notamment par le biais de la FCPA.

Il a par ailleurs confirmé que le « Yates Memorandum »2 sera toujours appliqué par le gouvernement de Trump.

Et ce, bien que Madame Sally Yates, Attorney-General par intérim, ait été remerciée par le président Trump pour avoir refusé d’appliquer son arrêté anti-immigration.

Promulgué en 2015 sous la présidence Obama par Madame Yates, alors numéro 2 du DOJ, ce Memorandum exige des procureurs fédéraux qu’ils donnent priorité aux poursuites des personnes physiques ayant diligenté des opérations de fraude au sein des entreprises.

Monsieur McFadden a également vanté les mérites de la coopération entre le DOJ et les autorités étrangères grâce à laquelle la poursuite des responsables de fraudes a été rendue plus effective, même lorsque ces derniers résidaient hors des Etats-Unis. L’avènement de l’Agence française anticorruption et l’activité accrue du parquet national financier sont autant d’éléments invitant la France à se joindre à cette coopération internationale contre la fraude.

 

La loi Sapin II à l’instar du système américain ?

La loi Sapin II instaure en France des outils connus de longue date aux Etats-Unis : la protection des lanceurs d’alerte (whistleblowers) au sein des entreprises, la création de programmes de compliance dans les grandes structures, l’avènement de la « convention judiciaire d’intérêt public », à l’instar du Deferred Prosecution Agreement américain, sans oublier la peine de compliance rendue obligatoire en cas de condamnation de l’entreprise pour corruption, et suivant laquelle les opérations de la société sont surveillées par l’Agence française anticorruption, ce qui n’est pas sans rappeler le rôle des « monitors » – ou « contrôleurs » – nommés par la justice américaine.

Cependant, une interrogation demeure : quelle sera la position du parquet français dans le cadre de ces enquêtes ? La pierre angulaire de la réussite du système de poursuite américain a toujours été l’imposition aux entreprises par le DOJ d’une forte incitation à l’auto-dénonciation moyennant d’importantes réductions d’amende et de peine de prison.

Craignant les conséquences du non-respect de ce principe, nombreuses sont les entreprises américaines à diligenter des enquêtes internes approfondies via des cabinets extérieurs, afin de communiquer par la suite au DOJ l’ensemble des faits développés en amont dans le cadre de ces enquêtes. Ce phénomène s’exportera-t-il désormais en France ?

Pareille approche n’est couronnée de succès que si l’autorité publique confère à ces « auto-délateurs » de réels avantages incitatifs, et pénalise les entreprises qui conservent leurs secrets, en caressant l’espoir de les dissimuler éternellement des autorités. Or, à l’heure actuelle, nous ignorons l’attitude qui sera celle du parquet national financier et des juges du siège français à cet égard.

Force est de constater que la mise en œuvre des principes de poursuite pénale à l’étranger du président Trump – comme des dispositifs de la loi Sapin II – est encore bien nébuleuse et recèle des mystères que seul le temps saura lever.

Mais même si la dérégulation était l’un des principes de base de la campagne Trump, les différents textes en droit pénal des affaires des deux pays vont néanmoins tous dans le sens d’un renforcement des règles et des lois.

 

[1] FCPA : loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger. Elle a été à l’origine de la condamnation de diverses multinationales dont Chiquita Brands, Walmart, HP, Lockheed, ou encore en France Alcatel Lucent, Alstom, Technip ou Total. Elle a été complétée et renforcée par l’International Antibribery Act de 1998, dont le but était de traduire en droit américain les dispositions de la Convention OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.

[2] Le « Yates Memorandum », aussi appelé « Individual Accountability for Corporate Wrongdoing», remet la responsabilité individuelle au centre de la lutte des actes criminels faits par les entreprises.

[3] Attorney General : Procureur général ou « ministre de la justice », il dirige le DOJ (Department of Justice, soit le ministère de la justice).

 

Cet article a été dans le numéro d’avril 2017 de la revue finance&gestion.