Quelles conditions de succès d’une politique de la demande ?
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Chacun des trois blocs politiques présents à l’assemblée suite aux récentes élections législatives ont présenté des propositions pour soutenir la consommation des ménages. Quelles sont les conditions de succès d’une telle politique économique ?
Rappelons celle de 1981 à la suite de l’élection de François Mitterrand. Elle se caractérise par l’embauche 55 000 fonctionnaires, la hausse du smic de 10 %, des allocations handicapés, familiales et logement de 20 % à 25 %. Les salaires ont augmenté fortement, suscitant une hausse de la consommation, ce qui était attendu.
Mais les soldes extérieurs se sont alors dégradés, dans un contexte où les partenaires extérieurs de France étaient en phase restrictive, de même que les soldes publics, entraînant une crise de change et le « tournant de la rigueur en 1983 ». Que s’était-il passé ? La forte hausse de la consommation n’avait pas pu être servie par les entreprises françaises. En effet, les capacités de production en biens ne peuvent être ajustées aussi rapidement que la hausse de la demande. Celle-ci se dirige alors vers les pays tiers et augmentent les importations. Cela creuse le déficit extérieur et rend plus difficile le financement de la dette publique. Or, celle-ci augmente puisque la production n’égalant pas la consommation, un biais fiscal entraîne une perte de revenu pour l’État. Ce double déficit dans un contexte de méfiance des marchés a renforcé les primes de risques (baisse de 25 % des bourses, hausse des taux d’intérêt en 1981) ce qui a freiné l’investissement. Les conséquences de cette politique n’ont été rectifiées que par la dite « politique de rigueur » qui a entraîné le retour de l’emploi et des revenus sur les tendances antérieures et le rétablissement de la productivité.
Peut-on échapper à ce scénario en 2024 ? Une forte augmentation de la demande peut-elle être servie aujourd’hui ? L’utilisation des capacités de production manufacturières se situe légèrement sous sa moyenne long terme (81 % vs 82 % source INSEE).
La production sera donc saturée très rapidement (au moins pour les biens, les services étant plus extensibles et par ailleurs représentent un poids plus important que dans les années 80). D’autant plus que les difficultés de recrutement restent élevées (pour 53,6 % des entreprises industrielles, Insee).
L’espoir d’augmenter l’offre de travail par la hausse des salaires sera partiellement déçu. Les emplois « manquants » sont essentiellement qualifiés et l’augmentation de l’offre nécessiterait une politique de formation à moyen terme. Par ailleurs pour les emplois moins qualifiés, la hausse des coûts de production associés à la hausse des salaires rendrait une partie de cette production moins compétitive. Ces pénuries de biens creuseront le déficit commercial (le contenu en imports – y compris indirect – pour les biens manufacturés s’élevait à 64 % en 2015). Enfin, les inquiétudes sur l’accroissement de l’endettement public et le déficit extérieur entraîneront une hausse des taux d’intérêt rendant plus difficile le financement des entreprises.
Comment échapper à ce cycle ? Toute augmentation de la demande devrait être accompagnée d’une augmentation de l’offre domestique. Dans l’idéal, l’augmentation de la demande doit être très progressive et durable, donnant de la visibilité aux entreprises et leur permettant d’investir. En lissant le choc sur les finances publiques, ce lissage réduit aussi la hausse des taux et limite l’augmentation des coûts de financement. Le temps permet également la formation de salariés qualifiés. Dans ce chemin de croissance, la fiscalité des entreprises devrait être ménagée pour motiver l’augmentation des investissements. En conclusion, un choc de demande n’est totalement efficace que s’il s’accompagne d’un choc d’offre. Dans le cas contraire, la hausse des revenus réalloue à court terme la richesse ce qui peut améliorer la situation des plus modestes, mais à moyen terme nécessite des ajustements effaçant une partie de ces gains et présentant un coût disproportionné pour l’économie dans son ensemble.
Candy Sok a rédigé cet article en s’appuyant sur les notes fournies par Philippe Aurain et le soutien de François Meunier.
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