La réaction du marché à une acquisition d’entreprise est généralement positive pour la cible, mais négative pour l’acquéreur lorsqu’elle est payée en actions (1). La recherche en finance a permis de vérifier ce phénomène sur de larges échantillons (2), et de l’expliquer par les asymétries d’information.

 

L’acquéreur dispose d’une information privée sur la valeur réelle de ses propres titres ; il choisit de payer en actions lorsqu’il estime que son entreprise est surévaluée par les marchés. En faisant ce choix, il envoie un signal négatif au marché. Inversement, le fait de choisir de payer en numéraire plutôt qu’en actions est un signal positif, et l’opération entraîne dans ce cas une hausse de la valeur boursière de l’acquéreur.

 

Des chercheurs d’HEC Paris ont étudié la réaction du marché dans le cas d’une acquisition d’un actif ou d’une branche de l’entreprise (3). Ils proposent un modèle théorique selon lequel le moyen de paiement choisi envoie au marché un signal inverse du cas d’une acquisition totale. L’idée générale est la suivante :
• pour une acquisition de l’entreprise dans sa totalité, l’acquéreur potentiel doit faire une offre formelle sur laquelle les actionnaires de la cible devront se prononcer par un vote. C’est donc l’acquéreur qui choisit de faire une offre en cash ou en actions, et la cible se prononce pour ou contre (il s’agit d’une offre à prendre ou à laisser) ;
• dans le cas d’une acquisition d’un actif de l’entreprise, le vote des actionnaires n’est pas requis. La procédure est organisée par le vendeur : il met en compétition les acquéreurs potentiels par un système d’enchères. La meilleure offre est retenue, mais le choix du mode de paiement revient in fine au vendeur : c’est lui qui décide de retenir une offre en cash ou en actions, ou même de solliciter une offre en actions de la part du meilleur acquéreur potentiel.

 

Selon cette étude, le fait que le choix du mode de paiement soit du ressort du vendeur renverse le signal envoyé au marché sur la valeur de l’acquéreur. Un paiement en actions signifie que le vendeur croit à la valeur de l’actif qu’il vend et à la qualité de l’opération pour l’acquéreur : il préfère donc être payé en actions de l’acquéreur pour bénéficier d’un retour sur investissement positif. Inversement, le signal est négatif si le vendeur préfère obtenir du cash.

 

Les auteurs ont vérifié empiriquement les prédictions de leur modèle, à partir d’un échantillon d’acquisitions partielles aux Etats-Unis entre 1989 et 2002. Leurs résultats sont en ligne avec leurs prédictions : le titre de l’acquéreur présente une surperformance moyenne de 3,44% au moment de l’annonce de l’opération lorsque celle-ci est effectuée en actions. Par rapport à la taille de l’opération d’acquisition, cela représente un retour sur investissement moyen de 20,15%.

 

Dans le cas d’une opération en cash, l’impact n’est pas significativement différent de zéro (sous-performance de 0,03%). Sans surprise, le vendeur bénéficie toujours de l’opération, comme c’est le cas dans les opérations d’acquisition totale.

 

Enfin, les auteurs vérifient que la performance opérationnelle de l’acquéreur se trouve améliorée après une acquisition d’actifs payée en actions, alors qu’elle n’est pas modifiée après une acquisition payée en cash : le vendeur choisit donc judicieusement le mode de paiement.

 

 

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(1) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 24 de décembre 2003.
(2) Par exemple, N.Travlos (1987), Corporate takeover bids, methods of payment, and bidding firms’s stock returns, Journal of Finance, n°42, p.943-963.
(3) U. Hege, S. Lovo, M.B. Slovin et M.E. Sushka (2009), Equity and cash in intercorporate asset sales : theory and evidence, Review of Financial Studies, vol.22, n°2, p.682-714. Voir aussi M.E. Sushka et U. Hege (2009), Equity or cash ? The signal sent by the way you pay, Harvard Business Review, May 2009.