La fragmentation du système de retraite actuel entraîne des coûts de gestion inutiles, constitue un obstacle à la mobilité professionnelle et un facteur d’injustice sociale dans la mesure où un même montant de cotisations ne donne pas droit à la même pension selon l’activité professionnelle. Il est souhaitable de créer un régime universel par répartition dans lequel les cotisations payées tout au long de la vie professionnelle seront converties en points convertibles en pension, avec les mêmes valeurs d’achat et de service pour tous, des points gratuits financés par l’impôt devant néanmoins être attribués par solidarité à certaines personnes.   

Dans un régime par répartition, par annuités ou par points, la hausse du taux de dépendance démographique (rapport entre les nombres de retraités et de cotisants) doit être compensée par une baisse équivalente du taux de remplacement moyen (rapport de la pension moyenne au revenu moyen d’activité) pour assurer l’équilibre financier sans hausse du taux de cotisation. Avec les règles actuelles et une croissance de 1,3 % par an de la productivité, la hausse du taux de dépendance sera à peu près compensée à long terme par la baisse du taux de remplacement moyen qui résultera de trois facteurs : l’indexation des pensions sur l’inflation ; l’indexation des salaires retenus pour calculer la pension sur l’inflation ; la hausse de 42 à 43 ans de la durée de cotisation requise pour avoir le taux plein. Dans le système universel, le premier facteur jouera de la même façon, l’indexation de la valeur de service du point sur le revenu moyen d’activité contribuera à stabiliser le taux de remplacement moyen alors que le recul progressif de « l’âge pivot » le réduira.

Selon l’étude d’impact et avec une croissance de 1,3 % par an de la productivité, les dépenses de retraite devraient rester à peu près les mêmes qu’avant réforme, avec un taux de remplacement moyen un peu plus élevé, donc une pension moyenne plus importante, et un taux de dépendance démographique un peu plus faible du fait d’un âge de départ un peu plus élevé. La valeur de service du point et l’âge pivot devront toutefois être ajustés pour tenir compte de la situation économique et démographique réelle. La prévisibilité des retraites ne sera pas pour autant plus faible que dans le système actuel.

Il est souhaitable d’inciter les Français à partir plus tard en retraite. Le recul de l’âge de départ n’a pas d’effet significatif à long terme sur le chômage et son indemnisation et il réduit le déficit structurel de l’ensemble des administrations publiques. Dans le futur système universel, l’ajout d’un bonus à la valeur de service du point, dépendant de l’écart entre l’âge effectif de départ et 62 ans, pourrait avoir le même effet que l’âge pivot en cristallisant moins les oppositions. A plus court terme, dans le système actuel, il suffit de modifier un paramètre tel que la durée de cotisation requise pour avoir le taux plein.  

La multiplicité des régimes et la complexité de leurs règles sont telles qu’il est très difficile d’identifier les gagnants et les perdants de cette réforme mais il y en aura. La période de transition doit donc être très longue et une « clause du grand-père » généralisée est sans doute la meilleure solution, les nouvelles générations n’ayant pas de droits acquis à perdre. Mais le Gouvernement s’oriente vers des transitions différenciées selon les professions qui pourraient rendre le système encore plus complexe et inéquitable pendant très longtemps.

 

A) La situation actuelle et les objectifs à long terme de la réforme

Le projet du Gouvernement repose sur une analyse correcte des défauts du système actuel de retraite, avec ses 42 régimes de base et complémentaires, et les grands principes de la réforme sont globalement pertinents (cf. note sur ce site).

En raison de la rapidité de diffusion des nouvelles technologies et des restructurations nécessaires ainsi que des aspirations des nouvelles générations à des parcours professionnels plus diversifiés, il est en effet souhaitable de favoriser les transitions professionnelles d’un secteur et d’un statut à l’autre. Or la segmentation des régimes de retraite fait obstacle à ces transitions. Même si les droits à pension acquis successivement dans les différents régimes au cours de la vie active s’additionnent pour l’essentiel, le fait qu’ils soient calculés différemment et gérés par des organismes différents constitue un obstacle à la connaissance et à l’anticipation de ces droits et donc au changement de statut.

Les règles de calcul des cotisations et des pensions sont généralement différentes d’un régime à l’autre et le même montant de cotisations ne donne pas droit à la même pension, ce qui est un facteur d’injustice. En outre, bien souvent, ces règles sont complexes et le lien entre cotisations et pensions est très distendu, à la fois du fait d’avantages « non contributifs » (ne reposant pas sur des cotisations) spécifiques à chaque régime et du financement de la plupart des régimes par des ressources pour partie autres que les cotisations sociales (des impôts pour l’essentiel).

En conséquence, les justifications des différences entre régimes sont peu convaincantes et l’importance des avantages indus dont pourraient bénéficier certaines catégories sociales donne lieu à des polémiques récurrentes. Les « régimes spéciaux », notamment ceux des fonctionnaires, sont au cœur de débats permanents alors que leur degré relatif de générosité est parfois difficile à mesurer en pratique.

Si les coûts de gestion des régimes de retraite sont mal connus, des rapports de la Cour des comptes montrent que la fusion de certains d’entre eux permettrait de dégager des économies significatives.

Dans le projet du Gouvernement, les 42 régimes de retraite actuels seront remplacés à terme par un système universel en répartition par points. Tous les revenus d’activité seront soumis à des cotisations, à un taux unique sur des assiettes harmonisées (donc primes incluses pour les fonctionnaires), et ces cotisations seront converties en points avec, chaque année, la même valeur d’acquisition du point pour tous. Les points accumulés au cours de la vie active seront convertis en une pension mensuelle au moment de la retraite en leur appliquant la valeur de service du point en vigueur à ce moment. Sauf décision contraire du Parlement, les valeurs d’acquisition et de service du point appliquées chaque année seront indexées sur le revenu moyen d’activité[1]. L’âge minimal de départ est maintenu à 62 ans, mais la valeur de service du point sera minorée par une décote en cas de départ avant un âge « pivot » ou « d’équilibre ». Une fois liquidée, la pension sera indexée sur l’inflation.

Des points gratuits, financés par l’impôt à travers un fonds de solidarité vieillesse universel, seront attribués à ceux qui ne peuvent pas travailler pour cause de chômage, maladie, maternité… Ce fonds financera également une retraite minimale portée à 85 % du SMIC net, une majoration des pensions de 5 % par enfant dès le premier et des pensions de réversion dont le calcul aura été harmonisé ainsi que des dispositifs de départ anticipé (carrières longues…).

 

[1] Moyenne pondérée des revenus des salariés, des fonctionnaires et des indépendants. Si cet indicateur n’est pas publié par l’Insee, il est facile à calculer et il a un rôle central dans les projections à long terme présentées dans les rapports du conseil d’orientation des retraites (cf. deuxième partie de l’article).

 

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Ce texte est la première partie d’un article initialement publié sur le site de FIPECO le 26 février 2020. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation. La deuxième partie sera publiée sur Vox-Fi le 9 mars 2020.