La rémunération des dirigeants est un sujet sensible. Ce billet, repris de la Lettre de Vernimmen n°106 de mars 2012, cherche à rappeler quelques idées simples à ce sujet.

 

Il existe quatre grands leviers de rémunération pour les dirigeants d’entreprise :

 

  • le salaire fixe,

 

  • la rémunération variable (intéressement et participation liés aux résultats collectifs, primes et  bonus plus liés à l’obtention de résultats individuels),

 

  • les rémunérations diverses (voiture, retraite complémentaire,  …)

 

  • la rémunération directement liée à la performance de l’action (actions gratuites et stock options principalement).

 

 

(cliquez sur le graphique pour le voir en plus grand)

 

Au-delà de l’aspect moral de la rémunération qui vient compenser un travail (et une prise de risque), la fixation de la rémunération doit répondre aux objectifs suivants :

 

• attirer initialement les personnes a priori les mieux à même de remplir la fonction ;

• les retenir tant qu’elles donnent satisfaction ;

• s’assurer que leurs intérêts personnels convergent avec ceux des actionnaires.

 

Notre objet n’est pas ici de disserter sur le niveau absolu de rémunération que l’on peut observer, mais d’apporter une réflexion sur les leviers de rémunération et leur adéquation avec les objectifs recherchés.

 

Le dernier objectif que nous avons mentionné fait écho à ce que l’on appelle en finance la théorie de l’agence. Cette théorie met en avant que les acteurs de l’entreprise peuvent avoir des intérêts divergents ; les dirigeants peuvent poursuivre des objectifs personnels (taille de l’entreprise, limitation du risque, profit personnel, …) différents de celui des actionnaires (maximisation de la valeur de l’action)[1]. Ainsi, un bon système de rémunération permettra de garantir que le dirigeant ait à cœur de maximiser sur le long terme la valeur de l’entreprise.

 

L’outil traditionnel pour inciter les managers à « bien faire leur travail » est le bonus, c’est-à-dire la part variable de la rémunération payée en cash annuellement. Le bonus est déterminé sur la base de la performance de l’année passée. Il est théoriquement versé si certains objectifs quantitatifs ou qualitatifs ont été atteints. Le caractère variable du bonus est très certainement incitatif, mais ses principes présentent certains défauts. Tout d’abord, il a tendance à s’institutionnaliser et son caractère variable devient alors pour partie théorique. Par ailleurs, la définition des objectifs est complexe : ils doivent être suffisamment précis pour être mesurables et dépendants directement de l’action du management tout en garantissant une maximisation de la valeur sur le long terme et moins sur le court terme.

 

Pour rendre la rémunération encore plus incitative, un produit a été développé et largement diffusé en Europe depuis les années 1990 : les stocks options. Cet instrument octroyé comme un élément de la rémunération permet en quelque sorte d’indexer la rémunération sur la performance de l’action puisqu’il s’agit d’une option d’achat. Il présente de ce fait l’avantage d’offrir un levier important laissant au dirigeant une perspective de gain très élevée en cas de progression sympathique de la valeur de l’action boursière. Par ailleurs il est théoriquement fortement incitatif car sa valeur peut être nulle en cas de sous-performance. Dit comme ça, il semble être la panacée. Mais est-ce le cas ?

 

Revenons sur ses principaux inconvénients : son principal défaut est que sa valeur peut être assez largement déconnectée de la performance relative de l’entreprise. En période d’euphorie boursière, les stocks options pourront prendre une valeur importante, et ce même pour les entreprises gérées de façon médiocre. À l’inverse, en période de morosité économique et boursière, les efforts et les politiques efficaces de certains managers ne seront pas récompensés par un gain sur les stocks options même si de la valeur a été créée.

 

Autrement dit, parce que la variation d’un cours de bourse ne reflète pas les performances de l’entreprise sur la période écoulée mais la variation de la perception de son futur par les investisseurs, un biais est introduit. Ainsi en 2012, 40 % environ des entreprises de l’Eurostox 600 ont un cours de bourse inférieur au niveau de 2000 alors que la plupart ont créé de la valeur pour leurs actionnaires en dégageant des rentabilités économiques supérieures au coût du capital. Simplement ceci ne s’est pas traduit dans les cours de bourse sur cette période, car cela avait été sur anticipé dans la période précédente. Il est d’ailleurs bien possible que ce soit là l’une des raisons qui ont poussé les dirigeants de L’Oréal à renoncer aux stock-options au profit de l’attribution d’actions gratuites.

 

Mentionnons que le versement de dividendes ayant un impact négatif sur la valeur des stocks options, les sociétés ayant attribué des stocks options risquent fort de voir leur management adopter une politique de distribution « prudente » préférant réinvestir afin de faire grossir la valeur plutôt que de la réduire par des dividendes. Au pire ils se résigneront à faire des rachats d’actions. Le principe « action, réaction » étant universel, il n’est pas réservé à François Berléand dans le film Les choristes !

 

Autrement dit, il est probable qu’une entreprise dont le rythme de croissance se ralentit préfèrera attribuer à l’avenir des actions gratuites qui auront toujours une valeur plutôt que des stock-options qui en vaudront de moins en moins. C’est plus sûr en termes d’incitations et d’efficacité managériale.

 

L’attribution d’actions gratuites ou « actions de performance » est liée à des critères objectifs qui sont censés refléter l’action effective du management et non les variations de la valeur de l’action : taux de rentabilité comptable minimum, taux de progression du bénéfice par action, etc. Les critères peuvent être non financiers : degré de satisfaction des clients, taux d’accidents du travail, niveau de la part de marché, etc. La valeur de ces actions, une fois acquises grâce à l’atteinte de critères économiques, dépend évidemment de la performance du titre mais, sauf faillite, elle n’est pas nulle comme souvent la valeur des stock-options ces temps-ci.

 

Ce qui rend le tableau de Proxinvest trompeur puisque la valeur des stock options au moment de l’attribution n’a rien à voir avec la valeur que son bénéficiaire pourra cristalliser ou non  correspondant aussi au transfert de valeur éventuel des actionnaires vers ceux qui exercent leurs stock options. La volatilité structurellement moindre des actions par rapport aux options (2) réduit ce biais[2].

 

Reste la complexe définition des objectifs… Ceux-ci seront nécessairement différents pour chaque entreprise. Pour un comparatif des critères de création de valeur, nous revoyons notre lecteur au chapitre 31 du Vernimmen. Dans le contexte qui nous intéresse, les critères comptables restent les plus simples à mettre en œuvre.

 

Au total, l’effacement relatif des stock options au profit des actions gratuites résulte, en France, de la convergence de plusieurs facteurs :

 

• le politiquement correct (car moins spéculatif et associant directement les bénéficiaires au capital …) ;

• la fiscalité qui en France favorise les actions gratuites (les cotisations salariales et patronales sont de 2,5 % et 10 % respectivement contre 8 % et 14 % pour les stock options), à condition que l’octroi ne dépasse pas 18 000 € par salarié ;

• le contexte boursier des années 2000 (12 ans après, l’indice Eurostoxx 600 est en retrait de 30 % par rapport à son niveau de 2000), bien différent de celui des années 1980 et 1990 globalement marquées par une euphorie boursière ;

• la difficulté de continuer à trouver de la croissance pour un groupe de taille importante ;

• et ce qui en est le corollaire, la hausse des taux de distribution.

 


[1] Pour plus de détails sur la théorie de l’agence, voir le chapitre 30, §30.17 du Vernimmen 2014.

[2] Pour plus de détails sur ce point, voir le chapitre 27, §27.15 du Vernimmen 2014.