Faisons un petit retour sur l’origine de la crise économique et financière: nous faisons face à une crise de croissance des économies développées avec le maintien d’un niveau de croissance en partie artificiellement gonflé par du crédit, sans développement économique structurel. À ce sujet, l’exemple irlandais est intéressant : en 2000, pays le plus pauvre en Europe, en 2008, pays avec le PIB le plus élevé avec le Luxembourg. Quelles en sont les principales raisons ? Bulle immobilière et endettement des ménages. De même en est-il pour l’Espagne qui construisit autant de maisons que la France, l’Italie et l’Allemagne réunis. C’est globalement un modèle tourné vers la consommation des ménages et non vers le développement industriel, créateur de richesses sur le long terme. Les banques ont été naturellement associées à ce phénomène, tout simplement par un comportement de prêt excessif pour financer l’endettement du consommateur…

Quel avenir alors pour ce modèle ? Un environnement économique et financier difficile, une croissance durablement faible au moins pour les 5-10 années à venir et un changement important de modèle bancaire via les régulations à venir (Bâle III, fonctionnement des marchés, protection des consommateurs, environnement fiscal, réglementation bancaire..); tout cela va contribuer à une orientation différente du modèle bancaire.

Prenons l’exemple de Bâle III : les règles du jeu sont à peu près définies pour le niveau de capital requis, mais elles auront nécessité une mobilisation de capital qui aura doublé entre 2007 et 2013… avec 2 conséquences immédiates : un modèle bancaire moins attractif pour les investisseurs suite à une moindre rentabilité du capital et une liquidité qui va basculer de l’abondance à faible coût vers une rareté à coût plus élevé. Les banques ne pourront donc pas garder autant de crédit pour aussi longtemps… Le modèle des utilisations et des ressources bancaires va donc évoluer, probablement vers le modèle américain (attention : le Royaume-Uni suit le modèle continental, pour une fois !), puisque le monde anglo-saxon influence fortement les régulateurs. Mais plaquer ce monde américain – très concentré sur son marché intérieur avec une forte dissémination du risque – sur un système bancaire français – très exposé à l’international avec une épargne qui va vers l’assurance-vie et non pas vers les comptes de dépôt (« désintermédiatisation » de l’épargne).

Le modèle bancaire français est principalement considéré comme une banque de détail qui a fonctionné de façon saine à travers des crédits responsables – stock de prêts immobiliers mais pas d’appartement vides – mais qui a aussi permis d’absorber les pertes de la banque d’investissement. Cela semble avoir donné de la solidité au modèle français mais ce dernier devra faire face soit à une réduction du financement de l’économie, soit à une nécessaire « réintermédiatisation » pour éviter de creuser le déséquilibre actuel : 1 700 milliards de crédits contre 1 300 milliards de dépôts. La nécessité de rééquilibrer ces deux montants pour 2015 va forcer les banques à trouver un nouvel équilibre du système bancaire : continuer de financer l’économie tout en restant au moins aussi sûr qu’actuellement.

Mais cet avenir est aussi confronté à deux théories qui s’affrontent : la banque universelle ou le découpage banque de détail et activités de marché (Glass-Steagall act ou Vickers) pour créer, à terme, des Goldman Sachs européens.

Le modèle européen peut-il copier sur le modèle américain ? Probablement que non, car il est énormément fragmenté, très orienté vers l’international avec de forts engagements sur des projets internationaux (on estime que le bilan des banques françaises est égal à 3-4 fois le PIB français), alors que le marché américain (avec des engagements égaux à 1,5 fois le PIB américain) est très oligopolistique et plutôt tourné vers le «domestique».

Alors pourquoi pas une réplique du modèle anglais, le marché le plus international ? Ce modèle n’a pas choisi la séparation complète, mais, selon le projet dit « Vickers » en cours de discussion,  une filialisation des activités d’investissement pour protéger la banque de détail de la banque d’investissement.

Le dernier challenge auquel les banques européennes vont être confrontées est que l’Europe a besoin de plus de marchés pour se financer (Bâle III) : la zone euro a besoin d’une industrie financière puissante ; et, avec une Europe plus intégrée, ne faudrait-il pas de vrais champions avec quelques banques européennes ? Avec Bâle III et les réglementations bancaires, il est fort probable que nous nous orientons vers des banques plus petites via la réduction de leurs bilans et la simplification des modèles, des banques aussi en forte concurrence frontale à travers un réseau d’agences surdimensionné qui ne peut se justifier que par l’apport d’activités autres que celle de la banque traditionnelle, dépôt et crédit. En effet, seule la bancassurance ou l’assurance-vie ne peuvent permettre de rentabiliser les réseaux de banques dans un monde de rareté du crédit…

Alors si l’Europe des banques reste fragmentée, il faudra qu’elle imagine de nouveaux secteurs de croissance pour tout simplement survivre. Et si le modèle français n’arrive pas à trouver ses 400 milliards de dépôt d’ici 2015 pour rééquilibrer ses crédits, alors nos banques françaises seront réduites à une position de repli économique… À moins que le secteur bancaire française n’accepte enfin de se restructurer (sous réserve que les ego de nos grands patrons bancaires ne freinent encore cette nécessaire adaptation), plutôt que d’espérer le salut à travers la réallocation de l’épargne et de l’assurance-vie pour rééquilibrer des activités nécessaires au financement de l’économie.

La régulation politique devrait probablement décider de l’avenir des banques, d’où un lobbying et un plan de communication très importants des banques pour bloquer toute réforme structurelle, mais la réalité est devant nous : 400 milliards de dépôt à trouver avant 2015 sous peine de restriction de crédit, une nécessaire restructuration du secteur bancaire pour réduire les coûts, une probable spécialisation de certaines banques et la disparition programmée de certaines banques trop petites pour atteindre un niveau acceptable de mutualisation des risques.