Les fonds durables attirent les épargnants pour une raison simple : ils privilégient dans leurs investissements les entreprises dont la gestion quotidienne prend en compte des critères environnementaux et sociaux. Ces entreprises peuvent alors lever plus facilement et à moindre coût les fonds pour leur croissance. Les autres entreprises, moins facilement, le tout contribuant à une économie plus verte et plus tournée vers des thématiques sociales.

C’est bien l’objectif suivi par les fonds durables mais, voit-on cela dans leur pratique de tous les jours ?

Pour creuser le sujet, Alex Edmans, Tom Gosling et Kirk Jenter, tout trois économistes d’institutions londoniennes, ont interrogé 509 gérants de portefeuille d’actions, moitié-moitié de fonds traditionnels et de fonds durables, à la fois aux États-Unis et en Europe.

L’étude, écrit Alex Edmans dans un article du Wall Street Journal ou encore ici dans une version plus longue, indique qu’il n’y a pas de grande différence dans le mode de gestion. Par exemple, les gérants « durables » indiquent à 70 % qu’ils ne sacrifieront pas un centime de rendement des titres dans lesquels ils investissent au profit de critères durables mieux pris en compte. Mais cette proportion est à peu de choses près – 76 % contre 70 % – celle qu’on observe pour les gérants traditionnels. Le « vert », pour ainsi dire, viendrait « en plus ». Il doit rapporter davantage, ce qui exclut alors tout arbitrage entre un surcroît de durabilité et un surcroît de rendement, ce qui pourtant serait le propre d’une décision d’investissement durable.

Au fond, indique l’étude, tous les gérants, durables ou pas, estiment que les critères ESG sont importants. C’est bien le moins pour un gérant durable, mais cela ne le distingue pas vraiment d’un gérant traditionnel. Satisfaire à ces critères, pensent-ils en commun, est le signe d’une bonne gestion à long terme et en général conduit à des rendements supérieurs. C’est rassurant qu’ils le pensent – et ils sont normalement bien placés pour en juger –, mais à nouveau cela banalise les fonds durables par rapport au reste de la population de fonds d’investissement.

Alex Edmans tire alors trois conclusions dans l’article cité :

  1. L’investissement durable n’est ni plus ni moins qu’un style de gestion, du type par exemple de l’investissement « value » par rapport à l’investissement « growth ». L’essentiel reste le rendement maximal, appliqué à des entreprises de nature différente.
  2. Il ne faut pas s’illusionner sur l’impact que la gestion de type durable aura quant à l’appui financier spécifique aux entreprises qui mettent en avant des critères ESG dans leur gestion. On investira dans des entreprises qui en tiennent compte, mais qui avant tout sont jugées très profitables.
  3. Les dénominations des fonds sont légèrement trompeuses : un fonds durable investira « vert », mais dans des entreprises performantes financièrement, et un fonds classique investira « performant », mais dans des entreprises donnant des garanties de gestion ESG.

Et l’on peut ici en rajouter une quatrième et une cinquième :

  1. Il y a une note plus positive que fait entendre l’étude : certes, on a du mal à distinguer les fonds ESG des autres, mais c’est bien parce que le dynamique ESG s’est emparée de l’ensemble de l’industrie de la gestion. Cette perte d’identité par assimilation du même objectif expliquerait peut-être le désamour que subissent aujourd’hui les fonds ESG. Ainsi l’Europe, qui concentre 72 % du marché mondial de tels fonds, a vu la fermeture ou la fusion de 350 fonds sur les neuf premiers mois de 2024, comme le rapporte Les Echos dans un article du 29 octobre 2024, davantage encore qu’en 2023. Et les lancements de nouveaux fonds « se réduisent comme peau de chagrin », dit le même article, au plus bas depuis des années.
  2. Mais sans qu’il faille se délecter d’un monde subitement très irénique. Il ne faut penser que le marché, et en tout cas les gérants de fonds qui en sont les principaux animateurs, aurait une vision à très long terme où le respect de la nature et de la communauté de travail coïnciderait toujours avec le rendement financier. Comment penser qu’il n’y a pas d’arbitrage, et même de conflit, entre les deux objectifs, alors qu’on se doute bien qu’au moins à court terme, les préoccupations climatiques et sociales sont coûteuses et justifient des investissements importants, forcément risqués et donc susceptibles d’être perdants.

Alex Edmans ne le nie pas. Son conseil est que l’épargnant fasse l’effort de passer outre la dénomination des fonds pour voir dans quelles sociétés ils investissent et ce que font effectivement ces sociétés. Mais voici un travail que précisément les gestionnaires de fonds durables étaient censés faire.