Article provenant de la LETTRE VERNIMMEN.NET, n°138 Mars 2016 par Laurent Calvet

Une vaste littérature documente que les actions dépréciées (« value stocks ») surperforment les actions de croissance (« growth stocks ») sur le long terme (Fama et French 1992, 2012, Graham et Dodd 1934). L’explication de ce phénomène empirique constitue l’un des enjeux majeurs de la recherche contemporaine en finance. Deux grands types d’explications ont été proposés. L’approche rationnelle est fondée sur le fait que les valeurs dépréciées sont fortement exposées aux fluctuations macroéconomiques (Cochrane 1999), ce qui inciterait les investisseurs à exiger de fortes primes de risque sur ces titres. L’approche comportementale considère que les actions de croissance font l’objet d’une exubérance irrationnelle de la part des investisseurs, ce qui ferait de ces titres de très mauvais investissements.

La recherche a jusqu’à présent peiné à faire la part des choses entre ces mécanismes sur la base de données boursières et macroéconomiques traditionnelles, qui n’apportent pas d’informations sur les motivations des investisseurs. Dans un article à paraître dans Journal of Finance[1], Sebastien Betermier, Laurent Calvet et Paolo Sodini étudient ces questions sur des données microéconomiques recensant le patrimoine financier et les revenus de chaque résident suédois. L’article montre que les approches rationnelles et comportementales contribuent toutes deux à expliquer les arbitrages des ménages en actions de valeur et actions de croissance. En particulier, les choix des ménages sont remarquablement cohérents avec les théories rationnelles. Il est donc raisonnable de penser que les actions de valeur surperforment les actions de croissance en raison d’expositions différentes aux fluctuations macroéconomiques, qui semblent comprises par les ménages.

Plus précisément, les auteurs montrent que les actions de valeur sont plutôt détenues par les ménages ayant une forte capacité à absorber le risque financier, par exemple parce qu’ils disposent d’un patrimoine financier et immobilier élevé, ont un faible niveau d’endettement, reçoivent un salaire stable, ou ont peu d’enfants à charge. Inversement, les ménages ayant une position financière plus fragile ont tendance à peu investir en actions de valeur et à privilégier les actions de croissance.

Les auteurs mettent en évidence une relation linéaire entre l’âge d’un investisseur et la fraction du portefeuille détenue en actions de valeur. Plus un investisseur est âgé, plus il a tendance à investir en actions de valeur. Cette « value ladder » est cohérente avec le fait que lorsqu’un investisseur vieillit, ses revenus futurs (capital humain) deviennent davantage constitués de pensions de retraite que de salaires. Un investisseur plus âgé est donc moins exposé aux fluctuations macroéconomiques qu’un investisseur plus jeune, et est donc plus à même d’investir en titres cycliques tels que les actions de valeur. Une explication complémentaire est que les actions de croissance promettent des dividendes à un horizon lointain et sont donc très sensibles aux variations du taux d’actualisation, ce qui rend ces titres particulièrement risqués pour des ménages âgés ayant un court horizon d’investissement.

Enfin, l’arbitrage entre actions de valeur et actions de croissance tend à varier suivant les secteurs dans lesquels travaillent les investisseurs. Les ménages travaillant dans des secteurs cycliques ont, ceteris paribus, tendance à moins investir en actions de valeur. De plus, la relation entre âge et investissement en actions de valeur (« value ladder ») est plus prononcée dans les secteurs cycliques. Ces diverses régularités sont remarquablement cohérentes avec les théories rationnelles.

[1] Who Are the Value and Growth Investors?