Madame Lagarde a demandé récemment à nos amis allemands d’abandonner partiellement leur comportement économique vertueux sous le motif que chaque membre de la zone euro doit participer aux efforts de convergence. La réponse de la chancelière allemande a été sanglante. Et pourtant !

Nos amis allemands ont adopté depuis quelques années une politique économique visant à maintenir un excédent de leur balance commerciale en limitant la hausse des coûts salariaux. Les résultats sont là :
– les salaires allemands étaient supérieurs de 15% à ceux de la France en 2003-4 ; ils sont maintenant inférieurs de 15-20% environ,
– l’excédent commercial représente environ 8% du PIB allemand,
– 10% environ des emplois résultent de cette situation,
– la parité de l’euro par rapport aux autres devises est maintenue grâce à cet excédent allemand,
– l’emploi qualifié via une politique active d’apprentissage est un gage de qualité des produits allemands.

En un mot comme en cent, l’Allemagne s’est enrichie quand la France, comme d’autres pays européens, s’est appauvrie ! Ce débat s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre d’un plan de soutien de l’économie grecque et de l’extrême réticence allemande, avec un droit de veto à toute initiative de ce type, à s’engager dans un programme dont elle serait naturellement la plus forte contributrice, voire la seule, car qui – en dehors de la France – est en mesure de soutenir financièrement un autre pays ?

Hors tout sentiment européen, Madame Merkel peut donc, à bon droit, demander à ses partenaires de copier son modèle au lieu de s’aligner sur le moins vertueux.
Pourtant, le diable se cache dans les détails : la relative faiblesse de l’euro est un dopant économique efficace pour l’Allemagne, selon le raisonnement suivant.
Grâce à la mauvaise santé et aux incertitudes liées à l’économie des pays dits de « l’olive belts » – la France aussi produit des olives – l’euro est moins fort que ne le serait le deutschemark s’il existait encore.
La « mauvaise conduite » de certains accroit donc fortement la compétitivité-prix des produits allemands sur les marchés non euro ! Quand certains sont soumis à la double peine, l’Allemagne bénéficie d’une double récompense : ses efforts intrinsèques et une monnaie « relativement » sous-évaluée.

Ceci renforce également l’attractivité des produits allemands au sein de la zone euro. L’enrichissement allemand évoqué plus haut se fait donc aussi au détriment de nombreux pays de la zone euro (hors les Pays-Bas, le Luxembourg…) et l’on a déjà évoqué sur ce blog ce que couterait aux Allemands l’explosion de l’euro.

Madame Lagarde demande donc, à bon droit, aux Allemands de renoncer à cette double rétribution pour n’en garder qu’une : leur compétitivité, à faire converger leur économie vers un point qui doit être identifié en commun.
Le commissaire européen aux affaires économiques vient d’indiquer que cette convergence politique se situe à long terme sur sa feuille de route puisque l’urgence est de soutenir la Grèce et bientôt le Portugal.
Pendant ces échanges, les Européens, et nonobstant leurs déclarations « unanimes », n’ont pas réussi à trouver une position commune et, pire, semblent se soucier comme d’une guigne de l’apparition dans les médias européens de citations et de relents nationalistes proches de l’insulte, dignes d’une époque qu’on espérait révolue !
Alors qui croire de Madame Merkel et de Madame Lagarde ? Les deux assurément, à long terme, si le malade européen n’est pas mort avant !

Pour l’anecdote…
… un diplomate d’Europe Centrale, à qui était présenté le bien fondé d’un recours au FMI pour sauver l’Europe (voir un post précédent), voudrait être certain que si la France se trouvait dans cette situation extrême, elle accepterait de se faire dicter sa conduite (réduction du nombre et baisse des salaires de fonctionnaires, hausse des impôts, diminution des amortisseurs sociaux…) par le FMI !