Le graphique ci-dessous, tiré des statistiques de l’OCDE sur le marché du travail, fait figurer le taux d’activité des adultes entre 25 et 54 ans, c’est-à-dire le cœur du marché du travail. Par taux d’activité, il faut entendre le rapport entre les personnes qui ont un travail ou qui en recherchent un (étant au chômage) et le total de la population en âge de travailler.

Ce que montre ce graphique (et nous conseillons d’aller sur le site de l’OCDE en référence pour les animations) est étonnant, du moins pour un Français : le taux d’activité aux États-Unis s’établit, pour cette classe d’âge, à 81% (colonne verte) alors qu’il est de 88,7% en France (colonne violette), soit près de 8 points au-dessus. Pas si paresseux les Français ! Ou au contraire, fainéants, les Américains ?

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Le phénomène commence à faire souci aux États-Unis. D’autant que ce taux de participation baisse assez fortement au fil des décennies. Il était par exemple de 97% en 1953 pour les hommes, et il n’est plus que de 88% aujourd’hui. Il était à son pic de 1999 de 77% pour les femmes et n’est plus que de 74% aujourd’hui, toujours pour les personnes entre 25 et 64 ans.

Jason Furman, l’économiste en chef du Council of Economic Advisors travaillant pour la Maison blanche, vient de publier un remarquable article à ce sujet, disponible dans la dernière livraison, celle de juillet-août 2016, de Foreign Affairs.

Il passe en revue les éléments d’explication. La récession ouverte à compter de 2008 (on sait qu’en période de récession, les gens se découragent et ont tendance à quitter le marché du travail, sans même figurer dans les statistiques de recherche d’un emploi) ? Pas vraiment, la tendance est beaucoup plus lourde. Des causes du côté de l’offre de travail, comme par exemple, un moindre désir de travailler ? Peu cohérent avec le fait que ce sont les moins qualifiés qui quittent le marché du travail. Des hommes en mesure de moins travailler parce que leurs épouses travaillent désormais davantage et peuvent elles-aussi assurer la vie du ménage ? Pas vraiment non plus : on observe que les ménages s’apparient de plus en plus selon la catégorie sociale et les deux conjoints ont la même attitude par rapport au marché du travail : soit actifs ensemble, soit inactifs ensemble. Trop d’aides sociales qui donnent les moyens de vivre aux frais du contribuable ? Non, les chiffres ne disent pas cela.

Ce n’est donc pas du côté de l’offre qu’il faudrait trouver l’explication. On en a un fort indice en constatant que les salaires, notamment ceux des moins qualifiés, ont eu tendance à baisser sur la période. Or, si les gens ne voulaient plus ou moins travailler, il en résulterait une hausse des salaires réels et non pas une baisse.

Il est donc plus probable que les choses se jouent plutôt du côté de la demande, et qu’il faut davantage faire appel à une explication en termes de découragement devant une probabilité moindre de trouver un travail. Bien-sûr la mondialisation et les nouvelles technologies affectent particulièrement les travailleurs américains non qualifiés. Il ne faut pas exclure non plus une cause inattendue : les prisons américaines sont incroyablement pleines, plus de 2 millions de personnes derrière les barreaux, de très loin le record du monde des pays développés. Or, si les prisonniers restent des actifs – ce qui ne pénalise pas le taux d’activité – ils subissent, quand ils sont remis en liberté, de fortes discriminations à l’embauche qui les marginalisent et les font quitter le marché du travail. Une des causes derrière cette discrimination est d’ordre légale, lié à la proportion très importante des professions réglementées ou à statut aux États-Unis, qui exclue les anciens condamnés de leur accès.

Enfin, Jason Furman doute que la flexibilité du marché du travail joue un rôle important sur le taux d’activité. Il compare les États-Unis et la France, deux pays aux antipodes en matière de flexibilité du marché du travail. Et c’est pourtant la France qui a le marché du travail le plus actif. Il faut le citer pleinement, ceci en plein débat sur la loi El Khomri :

To understand that role [de la flexibilité], it is helpful to compare the United States to France, a country with a very different set of institutions and rules. Economists describe the United States’ labor market as being far more “flexible” than France’s. In the United States, governments and institutions such as labor unions place relatively few barriers in the way of employers who want to change whom they employ and what they pay. In France, on the other hand, “supportive” labor-market policies are intended to prop up both employment levels and wages. In the United States, 12 percent of employees are covered by collective-bargaining agreements, and it is relatively easy for private-sector firms to hire and fire workers. In France, by contrast, more than 90 percent of workers are covered by collective-bargaining agreements, and most employees enjoy a substantial set of protections, including generous severance payments and restrictions on dismissal. Furthermore, the minimum wage for adults in France is around 50 percent higher than the federal minimum wage in the United States.

Some argue that the American-style labor market makes it easier for everyone who wants a job to get one, whereas policies such as a minimum wage introduce inefficiencies and inflexibilities into the economy. By that logic, the U.S. labor market should easily outperform the French labor market in terms of employment. And yet, the proportion of prime-age men in the labor force is five percent lower in the United States than it is in France. Even taking into account France’s higher unemployment rate, France still has had a higher percentage of prime-age men in jobs than the United States has in every year since 2001.

Jason Furman oublie cependant une chose : oui, le taux d’activité est très élevé entre 25 et 54 ans en France. Mais, le taux d’activité entre 55 et 64 ans y extrêmement bas, 49,1% dans un groupe de pays comprenant la Belgique, l’Italie et l’Autriche. Il reste très élevé aux États-Unis, avec un taux de 64,4%. Les jeunes adultes sont très actifs ; les vieux adultes sont poussés à l’inactivité.