Ce billet est repris de la Lettre de Vernimmen n°120.

 

Les professeurs Franck Bancel et Usha Mittoo ont interrogé environ 400 spécialistes européens de l’évaluation de société provenant d’un horizon assez large (banquiers d’affaires, gestionnaires de portefeuilles, gestionnaires de fortune, analystes financiers, directeurs financiers, experts en évaluation) sur leur pratique de l’évaluation d’entreprise.[1]

 

Dans les méthodes utilisées par les praticiens, il y a une prédominance très nette de l’actualisation des flux de trésorerie disponibles et des méthodes des comparables[2]. L’actualisation des dividendes, qui était la principale méthode jusqu’au milieu des années 1990, est en voie de disparition du fait de ses imperfections et de la généralisation des tableurs qui permettent de mener des actualisations de flux de trésorerie disponibles, normalement plus fiables. Elle ne disparaitra probablement pas totalement compte tenu de ses applications pertinentes dans le secteur financier. Une quinzaine d’années après lui avoir prédit un très grand avenir[3], il est vrai dans un contexte qui s’y prêtait (celui de la bulle TMT), la méthode des options réelles ne décolle toujours pas. Pour nous elle reste un cadre conceptuel intéressant qui permet de modéliser la flexibilité mais dont les applications pratiques risquent d’attendre encore longtemps[4].

 

On regrettera que 29 % des sondés utilisent encore des montants comptables, et non de valeurs financières, pour calculer le coût moyen pondéré du capital, ce qui est une erreur de logique puisque les taux de rentabilité requis sont des données de marché et que le concept de coût du capital n’a rien de comptable.[1] Mais on se réjouira que 71 % des sondés ne fassent pas cette erreur !

 

La vaste majorité des sondés utilise comme taux de l’argent sans risque celui des obligations d’Etat dont les dernières années écoulées ont démontré qu’elles n’étaient pas nécessairement sans risque de variations des cours compte tenu d’une solvabilité devenue, pour certains d’entre eux, relative. Nous préférons pour notre part utiliser des bons du Trésor à court terme d’un Etat noté AAA, ce qui dans la zone euro veut dire l’Allemagne.[2] On a alors vraiment conformément à la théorie financière un actif sans risque.

 

C’est sur les modalités de calcul du coefficient bêta que les pratiques diffèrent le plus et ce n’est guère étonnant car un évaluateur est rarement un saint : il a le plus souvent un objectif en tête et le coefficient bêta est un facteur d’ajustement important… Historique ou prospectif, calculé contre un indice étroit ou large, sur une durée courte ou longue, avec une fréquence journalière, hebdomadaire, voire mensuelle, calculé comme une moyenne ou une médiane de bêtas de sociétés comparables, avec ou sans impact fiscal (sans pour nous est la règle[3]), avec un bêta de la dette postulé nul ou calculé, etc…, le champ des possibles est très vaste et peu codifié.

 

Plus de deux tiers des évaluateurs prennent en compte une prime d’illiquidité ou de taille pour des entreprises plus petites. C’est toujours plus facile de faire accepter aux parties cette décote au niveau du taux d’actualisation qu’au niveau de la valeur finale. Dans un cas elle apparaît comme scientifique, dans l’autre elle semble relever du tripatouillage. Mais le résultat est le même et a le bon sens de son coté.

 

Que d’encre la valeur terminale n’a-t-elle pas fait couler et ne fera-t-elle pas couler ? 28 % des évaluateurs la calculent à partir d’un multiple, ce qui nous semble, disons les choses nettement, une hérésie. On est dans une méthode intrinsèque, restons y jusqu’au bout et laissons les multiples aux méthodes comparatives !

 

Seuls 18 % des évaluateurs ont recours à la technique du cash flow fade[4]qui permet de s’assurer que l’on actualise pas à l’infini des flux de trésorerie reposant sur l’hypothèse irréaliste d’une entreprise gagnant indéfiniment plus que son coût du capital. 18 %, c’est mieux qu’il y a 15 ans où quasiment personne n’y avait recours, mais cela reste encore très insuffisant. Ne pas avoir une réflexion en fin de période du plan d’affaires sur la rentabilité économique de l’entreprise par rapport à son coût du capital est pour nous la porte ouverte à tous les abus.

 

Il y a moins de progrès à faire quant à la valeur de la dette à prendre en compte qui, pour 43 % des évaluateurs, n’est pas son montant comptable. Cela doit correspondre peu ou prou à la proportion des cas où le sujet se pose vraiment : la solvabilité de l’entreprise a fortement varié depuis que sa dette a été émise et / ou les taux d’intérêt ont varié significativement depuis pour les dettes à taux fixe.

 

On laissera le mot de la fin à un sondé qui rappelle que la méthode d’actualisation des flux de trésorerie disponibles avec tous ses détails donne l’impression de la précision alors que ce modèle peut être extrêmement sensible aux hypothèses retenues et donc pas du tout précis.

 

[1] Pour plus de détails, voir le chapitre 33 du Vernimmen 2014

[2] Pour plus de détails, voir la Lettre vernimmen.net n° 111 de décembre 2012

[3] Pour plus de détails, voir le chapitre 33 du Vernimmen 2014

[4] Pour plus de détails, voir le chapitre 35 du Vernimmen 2014

[5] L’étude peut être consultée en cliquant ici

[6] Pour plus de détails sur ces méthodes voir les chapitres 26 et 35 du Vernimmen 2014

[7] Nous nous rappelons d’une conférence de McKinsey en 1999 annonçant qu’elle remplacerait sous dix ans l’actualisation des flux de trésorerie disponibles. . .

[8] Pour plus de détails, voir le chapitre 34 du Vernimmen 2014