Il y a un point sur lequel les entreprises, le gouvernement et les élus de gauche et de droite s’accordent : la taxe professionnelle (TP) est un impôt économiquement contre-productif. Il pénalise la compétitivité du territoire et, particulièrement, l’industrie, l’énergie et les transports qui paient environ les deux tiers de la TP, mais ne dégagent que le quart du chiffre d’affaires et le tiers du bénéfice fiscal des sociétés établies en France. De plus, cet impôt pèse plus lourdement sur les entreprises en période de crise. Il était donc plus que nécessaire de lancer le chantier de la réforme.

Pourtant, pour les collectivités locales, la TP, d’un montant de 29,4 milliards d’euros, assure actuellement près de 50 % des ressources des départements et des régions, et près de 80 % des ressources des intercommunalités et des agglomérations. Il ne faut pas oublier que ces collectivités réalisent près de 70 % de l’investissement public, soit 62 milliards d’euros en 2007, avec un impact évident sur la dynamique économique nationale. Il est donc tout aussi nécessaire de pérenniser les recettes fiscales à l’échelon local.

Réforme longtemps évoquée, l’annonce faite par Nicolas Sarkozy de la suppression de la TP en février dernier n’en avait pas moins pris de court la Commission Balladur, Bercy, les élus locaux et les entreprises. Ce fut l’illustration d’un bel effet d’annonce et d’une volonté assumée de réformes majeures. C’est aujourd’hui l’illustration d’une réforme impossible à mettre en œuvre simplement, porteuse d’inquiétude du côté des élus et des entreprises pour plusieurs raisons. D’une part, cette réforme ne peut être que le volet financier de la réforme des collectivités locales, qui n’a elle-même pas encore trouvé de définition arrêtée de la future organisation territoriale. D’autre part, du côté des entreprises, l’inquiétude est que la TP soit remplacée par un impôt aux effets équivalents, voire pénalise un même secteur d’activité, ou opère un glissement du poids de l’impôt d’un secteur soumis, par exemple, à la concurrence internationale – et donc susceptible de délocaliser – au détriment d’autres plus nationaux que le nouveau dispositif pourrait ainsi créer. Enfin, pour les collectivités locales, c’est un enjeu politique significatif à l’échelon local avec la crainte des élus locaux de voir disparaître le lien fiscal des entreprises avec le territoire et de perdre la maîtrise des budgets sur la partie correspondant aux futures dotations budgétaires qui devraient représenter de 7 à 8 milliards d’euros.

La stratégie du gouvernement repose désormais sur un calendrier serré avec le dépôt d’un projet de loi devant l’Assemblée avant l’été. Il force ainsi les représentants des mairies, des départements et des régions de France à émettre rapidement leurs contre-propositions. L’objectif : mettre les collectivités locales en position de bénéficier d’un nouveau réservoir de recettes fiscales dès 2011. Or, les contours du mécanisme de substitution de la TP commencent seulement à se dessiner, ce qui souligne la grande difficulté de mettre en œuvre le volet technique de cette réforme essentielle. Le dispositif se composerait d’un bouquet d’impôts représentant 14 milliards d’euros et de 7 à 8 milliards d’euros de dotations. Des impôts nationaux seraient confiés aux collectivités: la cotisation minimale (6, 4 Mds €), la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (2,8 Mds), la taxe intérieure sur les produits pétroliers (de 3 à 4 Mds), la taxe sur les surfaces commerciales (0,6 Md), l’augmentation de la TP sur la part foncière (1,1 Md) qui reste maintenue, le relèvement des taxes sectorielles (1,1 Md) telles que taxes sur les pylônes, éoliennes, etc., et les droits de mutation à titre onéreux (0,3 Md).

Sur la méthode, il apparait que la priorité donnée à la présentation politique se heurte à la complexité technique de la réforme, avec, peut-être, une pratique trop timide de la concertation. Au-delà, la présentation d’un travail abouti de simulation de ses effets serait nécessaire pour comprendre l’impact réel des pistes proposées pour les collectivités locales (notamment à partir d’échantillonnages locaux suffisamment représentatifs) et les entreprises (par des études par secteurs et branches de l’activité économique). Enfin, le risque est grand de mettre en place une mécanique de financement difficilement lisible passant par un système de péréquation complexe pour préserver l’équilibre budgétaire actuel.

Une multitude d’interrogations subsiste. Comment l’Etat va-t-il financer 7 à 8 milliards de dotations face à un objectif de neutralité de la réforme sur les finances publiques ? Qui va payer et comment ? Une taxe carbone aux frontières, piste évoquée, semble bien compliquée à mettre en œuvre. Taxer l’énergie peut être difficilement défendable en ces périodes de crise si cela impacte le pouvoir d’achat des ménages. Resteraient donc les entreprises. Quels types d’activités et quels acteurs économiques vont alors être favorisés dans le cadre de cette réorientation du prélèvement de l’impôt ?

Une chose est sûre, il faut réussir cette réforme, fort de l’expérience de celle de la TP, impôt que toutes les majorités ont qualifié d’économiquement absurde au fil des décennies, mais qui n’en a pas moins survécu plus de 34 ans.


Philippe Nègre