Dans un triple contexte d’excès des dépenses publiques par rapport aux recettes (les 366 Md€ de dépenses prévues en France en 2012 représentent 129 % des recettes estimées à 284 Md€), d’importance des prélèvements obligatoires (834 Md€) par rapport à la richesse créée en France et de vives critiques sur leur structure, et enfin d’élections présidentielles ou législatives (proches en Espagne, Etats-Unis, France, Allemagne et Italie), la fiscalité est un sujet qui devrait rester d’actualité au moins quelques trimestres.

Nous avons fait un rêve. Nous voici bombardés ministre des Finances avec une Représentation nationale et des citoyens qui ont, tous, de longue date fait du Vernimmen leur livre de chevet.

Oublions que la fiscalité résulte le plus souvent de l’accumulation de mesures contingentes prises sous l’effet de la conjoncture, d’une volonté politique à un instant donné et du poids des intérêts particuliers. Oublions que la fiscalité n’est jamais neutre. Que faisons-nous ?

Nos réflexions, dénuées d’orientations politiques comme vous le constaterez, et naturellement avec une optique financière, c’est-à-dire un adoptant le point de vue de l’entreprise et de l’investisseur et en essayant de raisonner en équité, vont dans six directions indépendantes :

1. D’un point de vue financier, il n’y a pas de raison que l’imposition des revenus du capital (intérêts, plus-values, dividendes) diffère de celle des revenus du travail.

Nous avons eu beau chercher, nous n’avons pas trouvé de raison. On pourrait certes dire que souvent le patrimoine résulte de revenus du travail accumulés et déjà taxés une première fois et qu’il conviendrait donc de ne pas les taxer une seconde fois.

Mais cela ne tient pas la route puisque les revenus du travail dépensés en consommation sont taxés une seconde fois par la TVA. L’autre argument souvent avancé – le capital est mobile, le travail l’est moins – et donc le premier mérite qu’on le taxe moins pour éviter qu’il ne fuie, est assez cynique et n’est pas facteur de cohésion sociale. Les Etats ayant à peu près partout les mêmes problèmes budgétaires, la mobilité fiscale risque de perdre de son attractivité d’autant que la mauvaise presse persistante de la finance, les mouvements des indignés ici et là et les appels des milliardaires à être plus taxés ne vont pas dans le sens d’une moindre imposition des revenus du capital.

2. D’un point de vue financier, il n’y a pas de raison de taxer différemment le revenu de la plus-value encaissée.

Comme il est souvent possible de transformer l’un en l’autre par la capitalisation des intérêts (emprunt à coupon zéro (1)), ou par le réinvestissement ou les rachats d’actions qui génèrent des plus-values, autant éviter que ces décisions, qui peuvent être lourdes de conséquences économiques, ne soient prises pour des raisons fiscales alors qu’elle devraient l’être pour des raisons économiques ou financières.

3. D’un point de vue financier, il n’y pas de raison que les intérêts et les dividendes soient traités fiscalement différemment au sein de l’entreprise ni au niveau de l’investisseur.

Intérêts et dividendes constituent la rémunération des pourvoyeurs de fonds de l’entreprise qui finance ainsi son actif économique. Au nom de quelle logique faut-il que les intérêts de la dette soient déductibles de la base fiscale de l’entreprise alors que les dividendes ne le sont pas ?

On comprend bien l’influence de la comptabilité qui vise à établir le résultat net revenant aux actionnaires. Dans cette optique, les frais financiers sont une charge et le dividende une répartition du résultat net dont il ne peut pas être par définition comptablement déductible.

La fiscalité n’étant pas systématiquement alignée sur la comptabilité, on peut très bien concevoir de cesser de favoriser par la fiscalité de l’entreprise l’endettement au détriment des capitaux propres. Cet avantage accordé à la dette est un pousse au crime car l’endettement rend plus faibles les entreprises alors que les capitaux propres les confortent (2).

Cette neutralité fiscale par rapport aux sources de financement pourrait être obtenue de deux façons :

• rendre fiscalement déductibles les dividendes versés à l’instar des intérêts. Les entreprises risqueraient assez vite de porter à 100 % leur taux de distribution puis de procéder ensuite à des augmentations de capital pour reconstituer leurs liquidités. D’un point de vue financier, cette évolution, qui redonnerait un pouvoir de contrôle aux actionnaires sur l’utilisation de la capacité d’autofinancement, serait bénéfique et éviterait probablement des gâchis, c’est-à-dire des investissements faits par des dirigeants ayant leurs propres agendas (3).

Elle aurait comme inconvénient rédhibitoire de réduire à zéro le produit de l’impôt sur les sociétés. Seule une partie de cette déperdition fiscale pourrait être rattrapée au niveau des actionnaires car tous, tant s’en faut, ne sont pas des résidents fiscaux français et ne sont donc pas imposés en France ou marginalement par le biais de retenues à la source ;

• supprimer la déductibilité fiscale des intérêts. L’Allemagne a entrepris de le faire partiellement il y a quelques années (pour la fraction des frais financiers excédant 30 % de l’EBE). S’il est un moment pour passer à l’acte, c’est maintenant quand les taux d’intérêt sont faibles dans une perspective historique et que les entreprises sont, en moyenne, faiblement endettées.

Techniquement, il faudrait prévoir que les produits financiers soient eux aussi non imposables à hauteur du montant des frais financiers pour éviter de pénaliser indûment ceux qui empruntent pour reprêter (la maison mère dans un groupe, les banques). Seule la marge d’intérêt (si elle est positive) serait alors imposée.

De la même façon, au niveau de l’investisseur, nous ne voyons pas pourquoi les revenus des différents éléments du capital (revenus et plus-values, intérêts et dividendes) devraient être imposés différemment (base, taux, abattement), même si depuis quelques années la fiscalité française a réduit les différences de traitement (4). La différence de risque supportée par l’investisseur ne nous parait pas être, en soi, une raison pertinente car elle s’accompagne d’une différence de rentabilité qui la justifie et la compense sans que la fiscalité ait besoin de surcroît de venir à son secours.

Au contraire la fiscalité de l’investisseur, le plus souvent favorable aux capitaux propres, peut pousser des individus à assumer les risques des capitaux propres, guidés par le seul appât d’une moindre imposition, alors qu’ils ne peuvent pas les supporter. Il y a là une certaine part d’irresponsabilité des pouvoirs publics.

Il y a enfin une incohérence entre une fiscalité des entreprises poussant celles-ci à favoriser l’endettement et une fiscalité des particuliers les incitant à investir en capitaux propres. Peut être le législateur a-t-il voulu rétablir, consciemment ou inconsciemment, une neutralité de la fiscalité globale entre dette et capitaux propres ; la fiscalité plus favorable aux capitaux propres au niveau de l’investisseur annulant la fiscalité plus favorable à la dette au niveau de l’entreprise ? Mais dans ce cas, le résultat n’est pas atteint.

La pratique nous a montré que de nombreux financiers d’entreprise survalorisent l’avantage fiscal de la dette et oublient la contrepartie négative au niveau des investisseurs qui la leur font pourtant payer.

Elle nous a aussi fait voir des particuliers peu sophistiqués acheter des actions pour un seul avantage fiscal qui s’avère souvent illusoire (le CAC 40 est actuellement à son niveau de mi-1997).

4. D’un point de vue financier, il n’y a pas de raison de taxer chez les investisseurs les dividendes qui proviennent des résultats déjà taxés au niveau de l’entreprise.

Après tout, les actionnaires (ou équivalents) des sociétés fiscalement transparentes (sociétés en nom collectif, OPCVM) sont imposés sur leur quote part des résultats faits par l’entreprise sans que celle-ci ait été préalablement imposée sur ces mêmes résultats. Pourquoi ce qui est admis pour certains types de sociétés ne serait pas généralisé ?

Les Pouvoirs Publics en sont d’ailleurs bien conscients eux qui créent, suppriment puis recréent des mécanismes (avoir fiscal puis abattements en France, ACT au Royaume-Uni…), qui limitent partiellement cette double imposition. Si le principe est acquis, tous ces systèmes sont bien compliqués. Il suffirait de décider que les dividendes ne sont pas imposables, mais quel défi pédagogique auprès du grand public !

Heureusement que nous avons commencé par mentionner un principe qui ferait que les plus-values sur capitaux propres (y compris celles dues au stock-options) ou sur dettes, que les intérêts des dettes non fiscalement déductibles (celles des Etats, des collectivités publiques…), seraient imposés selon les mêmes modalités que les revenus du travail.

5. D’un point de vue financier, il n’y a pas de raison d’imposer différemment les bénéfices réinvestis des bénéfices distribués.

Dans les années 1980, l’Allemagne et la France ont connu un régime d’imposition différencié des bénéfices selon qu’ils étaient réinvestis ou distribués. En France, les bénéfices non distribués étaient moins taxés. En Allemagne, c’était l’inverse.

L’investissement n’est pas systématiquement un bien qu’il faudrait favoriser fiscalement. Que l’on pense aux situations de surinvestissement (les bateaux de plaisance dans les DOM-TOM par exemple). De la même façon, la distribution n’est pas un mal qu’il faudrait pénaliser fiscalement pour le réduire, d’autant que la pente naturelle des dirigeants fait qu’ils n’ont pas besoin d’incitations fiscales pour préférer l’autofinancement à la distribution.

C’est au contraire un facteur de mobilité du capital, gage d’une meilleure allocation de cette ressource rare. De nouveaux secteurs jaillissent régulièrement qui doivent être impérativement financés par capitaux propres très majoritairement compte tenu de leurs risques. Si ceux-ci sont piégés dans des entreprises pour des raisons fiscales à courte vue et placés comme de la trésorerie à court terme (et donc transformés en dettes), ils ne peuvent pas jouer ce rôle crucial pour le développement économique.

6. D’un point de vue financier, il nous parait bon que la fiscalité sorte de sa neutralité pour avantager le long terme au détriment du court terme.

Dans une société très marquée par le zapping et l’impatience, tout ce qui donne du temps au temps nous paraît constituer un contrepoids utile. Ainsi, dans le calcul de l’impôt sur la plus-value, le prix de revient des titres cotés pourrait être revalorisé chaque année par un facteur d’érosion monétaire. Ce serait mieux que des taux d’impôt réduits qui s’appliquent de façon assez indifférenciée. Le nombre considérable de déclarations fiscales maintenant faites par Internet rend assez simple cette réalisation.

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L’application conjointe de ces six principes indépendants n’est pas aisée car il y une contradiction entre, d’un coté, vouloir un même traitement fiscal pour le dividende et la plus-value, et de l’autre, ne pas imposer au niveau de l’investisseur les dividendes issus d’un profit après impôt et imposer les plus-values.

Disons que dans un monde idéal, les entreprises seraient taxées sur le résultat d’exploitation (majoré des éléments exceptionnels). Au niveau des investisseurs, les plus-values encaissées de toute nature et les intérêts de la dette émise par des entités non imposables (les pouvoirs publics) seraient imposés comme les revenus du travail. Les dividendes seraient non imposés car provenant du résultat net qui vient de l’être, de même pour les intérêts des dettes émises par des entités imposables pour lesquelles ils ne constitueraient pas des éléments déductibles de leur résultat imposable.

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Nous avons bien conscience que la fiscalité peut être guidée par des considérations autres que la pure logique financière et nous espérons que notre lecteur nous pardonnera ce moment d’évasion dans le songe.

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 25 du Vernimmen 2012.
(2) Pour plus de détails, voir le chapitre 40 du Vernimmen 2012.
(3) Pour plus de détails, voir le chapitre 38 du Vernimmen 2012.
(4) Pour plus de détails, voir le chapitre 38 du Vernimmen 2012.