Le gouvernement, pour se sortir du raté de l’écotaxe, lance le projet d’une « remise à plat » de la fiscalité. Il faut prendre cela au sérieux. Parce que ce pourrait être pour lui l’occasion de se sortir une belle épine du pied. L’alignement des revenus et plus-values du capital sur les revenus du travail voté en 2012 se révèle en effet, comme souvent les mesures fiscales prises à la hâte, un nid de complications inextricables.
 
Il y a eu bien-sûr l’épisode des « pigeons », illustrant la difficulté de taxer avec mesure lors des cessions d’entreprises. On s’est vite aperçu aussi que le quasi-doublement de la fiscalité sur les placements en actions ou obligations faisait ressortir comme anomalie les exonérations portant sur de multiples produits d’épargne (assurance-vie, épargne salariale, etc.). Ces exonérations, ou encore la non-taxation du service de logement pour les propriétaires et leur taxation pour les locataires, apparaissent bénignes avec des taux bas ; elles sont exorbitantes avec des taux élevés. Cela ouvre la voie à des remises en cause incessantes de tel ou tel statut fiscal, jugé comme privilège par la catégorie d’épargne qui n’en bénéficie pas. L’édifice de la fiscalité et de la promotion de l’épargne est soumis à un grignotage incessant. Le rapport parlementaire Berger-Lefebvre en fait bien le constat.
 
Sur le fond enfin, le gros défaut de l’alignement pur et simple est de pénaliser l’épargne et l’investissement au profit de la consommation présente. Si Pierre achète des titres financiers à un taux de rendement de 3% et que le taux d’impôt sur cette épargne est de 60%, le rendement net est de 1,2%, soit à peu près zéro une fois l’inflation prise en compte. Si Pierre, plutôt que de toucher un revenu préfère céder les titres et toucher une plus-value, là encore, son rendement réel est nul puisque le prix d’achat n’est pas réévalué de l’inflation. Autant consommer tout de suite. Ne parlons pas enfin de la distorsion entre les placements action (qui subissent en amont l’impôt sur les sociétés) et les placements en titre de dette qui y échappent.
 
Cela ne veut pas dire que l’épargne doive échapper à l’impôt, notamment pour des raisons d’équité. Les meilleures références sur le sujet laissent le choix à deux solutions :
 
– l’option dite scandinave, consistant à taxer plus-values et revenus financiers à un taux fixe, par exemple de 30%, inférieur au taux marginal de l’IR. C’est celle que recommandait par exemple Philippe Aghion, un économiste de gauche au service de François Hollande lors de sa campagne présidentielle. (Il est vrai que le taux de 30% était assez proche de ce qui prévalait sous le gouvernement précédent) ;
 
– l’option dite américaine, consistant à taxer au taux variable de l’IR, davantage donc pour les hauts revenus, mais avec par exemple un taux divisé par deux.
 
Evidemment, l’argument pour ne pas aligner perd de sa force lorsque les revenus du capital sont issus d’héritages ou d’arbitrages fiscaux sur les salaires (en montant son entreprise individuelle et en se distribuant des dividendes plutôt que des salaires). Mais il est préférable et possible de traiter ces problèmes à leur source plutôt qu’en « surtaxant » l’ensemble des revenus du capital. Des modifications à la fiscalité des transmissions ou à celle des entreprises individuelles y suffisent.
 
La solution scandinave a le défaut d’imposer des taux élevés sur les produits de l’épargne des ménages à revenu modeste. Place alors à la solution américaine ? On peut noter qu’elle n’est nullement incompatible avec ce que les commentateurs voient comme la grande mesure devant figurer dans la remise à plat annoncée par Jean-Marc Ayrault, à savoir la fusion de l’IR et de la CSG. On prélèverait à la source une base fiscale unifiée et on la taxerait avec une échelle de taux croissante ; cette base unifiée prendrait en compte les revenus du travail à 100% mais les revenus du capital avec un poids inférieur, par exemple de 50%, selon le choix du législateur. Comme pour la CSG aujourd’hui, ce serait tous les revenus du capital qui seraient traités ainsi. Les remises à plat permettent aussi le toilettage des niches fiscales.
 
Article paru dans le numéro 1242 d’Option Finance.
 
[1] Pour un taux d’impôt marginal à 45%, plus 15,5% de CSG-CRDS, l’épargne subit désormais en France un taux de 60,5%, contre 30 à 35% précédemment.