Bénéficiant de plus de soixante-dix ans d’expérience, la présence des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance est largement mise en oeuvre en Europe. Elle devrait être promue par la France comme composante d’un projet européen à reconstruire.

Instaurée dans le prolongement du Programme du Conseil national de la Résistance, la représentation des salariés dans les conseils a historiquement joui de soutiens multiples, venant en particulier des partis gaullistes, centristes, socialiste et communiste, des syndicats (CFDT et CGT notamment) et de l’Eglise catholique (dès 1931 via l’encyclique « Quadragesimo anno »).

Engagée en France dans les entreprises publiques dès 1946, elle a été successivement renforcée en 1983, confortée en 1993 dans les sociétés privatisées, puis étendue en 2013 aux grandes entreprises privées, la loi Rebsamen prévoyant de l’étendre à celles de plus 1.000 salariés en France ou de 5.000 dans le monde.

En Europe, cette pratique existe dans une majorité de pays, notamment en Allemagne (où les salariés forment la moitié du conseil), aux Pays-Bas, au Danemark (où elle existe dès que l’entreprise a plus de 35 salariés), en Norvège, en Suède, en Finlande, en Pologne, en Espagne… Elle a été envisagée par Matteo Renzi et par Theresa May.

 

Une mesure de portée politique

Ce dispositif apparaît donc comme un des traits de l’Union européenne, qui a d’ailleurs participé à son développement en l’introduisant en 1972 dans son projet de cinquième directive sur les sociétés. La participation d’administrateurs salariés au pouvoir de décision dans les sociétés où ils travaillent a d’abord une portée politique.

Lieu d’engagement et d’interdépendance, de coopération, de solidarité et d’innovation, l’entreprise est centrale pour ceux qui y travaillent et pour la collectivité : son efficacité participe de l’intérêt général et elle est en elle-même un bien commun.

Les débats au sein de l’entreprise sur les fins et les modalités des projets communs qui y sont menés sont donc une forme d’activité politique. La participation effective des salariés aux plus hautes instances de décision est un facteur de vitalité démocratique, au même titre que l’implication dans les mairies ou les associations.

La présence d’administrateurs salariés a aussi une portée économique. Alors que la concurrence s’est mondialisée, la performance des entreprises repose moins sur les réductions de coûts que sur le bon positionnement stratégique, l’innovation, la qualité et la productivité ; facteurs qui dépendent tous de l’engagement des salariés.

 

Stimuler l’innovation et la formation

En effet, quelle pertinence aurait une stratégie qui ne prendrait pas appui sur les savoir-faire propres à l’entreprise, ou qui serait définie sans impliquer ceux qui les détiennent ? Comment stimuler l’innovation sans susciter la coopération de ceux sur qui elle repose ?

Comment développer les compétences si ceux qui les détiennent ne sont pas incités à les partager ? Mais comment espérer un tel engagement des salariés s’ils peuvent penser que, au plus haut niveau, les décisions sont prises en fonction de critères financiers de court terme, sans prendre en considération le travail et l’emploi ?

Il est établi que les entreprises qui appliquent le mieux la codétermination sont aussi celles qui favorisent l’innovation, la formation, la qualité des produits et le maintien dans l’emploi ; l’exemple de l’Allemagne et de la Scandinavie en témoigne.

Une gouvernance d’entreprise équilibrée par des administrateurs salariés est de nature à redonner vigueur à notre démocratie et à notre économie. En faire une composante du projet politique européen serait de nature à relancer l’Europe en renforçant son enracinement social.

 

Cet article a été initialement publié sur le site des Echos le 13 août 2017. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.