Rente immobilière : les leçons de Ricardo
LE CERCLE/POINT DE VUE – Au début du XIXe siècle, l’économiste David Ricardo a donné une définition claire de la rente foncière et de la fiscalité à appliquer pour ne pas pénaliser l’économie. A la lumière de ses théories, l’idée d’un ISF immobilier présente plusieurs avantages.
En ces temps de réforme de la fiscalité immobilière (taxe d’habitation et limitation de l’ISF au patrimoine immobilier), un retour aux écrits de David Ricardo est utile. Il est l’économiste qui a donné, dès les années 1820, la formulation la plus limpide de ce qu’est la rente foncière, ainsi que de la fiscalité qui doit en découler.
Rappelons le contexte, celui des «Corn Laws», ou lois sur le blé, qui au sortir des guerres napoléoniennes interdisaient les importations de blé au Royaume-Uni. Leur vote a déclenché un violent débat qui n’a trouvé son terme qu’en 1846, lors du vote qui les a abolies.
Les lords britanniques, dont beaucoup vivaient de leurs terres agricoles, étaient contre une abolition qui allait réduire le prix du blé par hausse des importations. Les classes industrielles montantes étaient pour, voyant l’effet du prix du blé, et donc du pain, sur le pouvoir d’achat du salaire et sur le coût du travail.
Une théorie novatrice de la fiscalité
Dans un des premiers exemples de raisonnement hypothético-déductif propre à cette économie politique naissante, Ricardo partait du constat de terres plus ou moins fertiles, et donc plus ou moins coûteuses à exploiter. De façon rationnelle, les propriétaires mettent en culture leurs terres tant que leur exploitation est profitable, c’est-à-dire tant que le prix du blé reste supérieur au coût de production, un coût incluant une rémunération normale du capital.
Si jamais la demande de blé s’accroît, par exemple sous l’effet d’une pression démographique, ce sont des terres les moins fertiles qui seront mises en culture, mais dont le coût de production est plus élevé, ce qui renchérit le prix du blé. Ce faisant, les propriétaires des terres fertiles dégagent une rente au-delà de leur propre coût de production. La valeur de leur capital s’élève, puisque le prix d’une terre agricole est la somme des revenus qu’on peut en tirer.
Ricardo en fait une théorie novatrice de la fiscalité, à savoir un impôt qui obère le moins possible les performances de l’économie. Il montre, contre une certaine intuition, qu’une taxe proportionnelle à la rente foncière est parfaitement neutre. Elle affecte les propriétaires des terres les plus productives, celles qui dégagent une rente.
Mais le propriétaire «marginal», celui dont la terre est la dernière mise en culture, ne paiera pas d’impôt puisqu’il n’en dégage aucune. Plus encore, le prix du blé et la quantité qui en est produite restent inchangés : l’équilibre économique n’est en rien affecté. On aurait ainsi le Graal en matière fiscale.
L’immobilier est, comme la terre agricole, ancré dans le sol. Celui de la ville plutôt que de la campagne. Le raisonnement de Ricardo s’y applique très largement. Nos grandes métropoles génèrent de la rente immobilière de façon accélérée depuis deux ou trois décennies, de par l’attraction qu’elles exercent, notamment en leurs centres-villes (l’équivalent des terres fertiles), où la politique urbaine concentre souvent le gros des aménités de transport, de scolarité pour les enfants, de culture, etc.
Le propriétaire en place s’enrichit non de l’amélioration intrinsèque du logement, c’est-à-dire de son investissement et de son risque, mais de facteurs fortuits, d’une manne qui échappe à son effort, par exemple d’une hausse de la demande de logement ou d’un investissement urbain financé par la collectivité.
Un facteur d’inégalité
Ces phénomènes de rente se rencontrent beaucoup plus rarement pour le capital industriel, en raison de sa bien plus grande mobilité. De fait, toutes les observations conduites récemment mettent le doigt sur le capital immobilier comme facteur principal de l’inégalité croissante des patrimoines dans les grands pays développés.
On a ainsi, comme à l’époque de Ricardo, un argument fort pour différencier la taxation qui porte sur le capital industriel (ou les revenus qui en sont tirés) et le capital immobilier, surtout s’il est possible de taxer ce dernier de façon relativement neutre. A cette aune, un ISF immobilier a certaines bonnes propriétés.
Tout d’abord au regard de la taxe foncière aujourd’hui en vigueur en France. L’ISF s’applique aux prix de marché courants et non aux prix assez arbitraires que sont ceux du cadastre de l’année 1970. Le prix est de plus déclaratif (par le contribuable) et donc moins coûteux à mettre à jour, administrativement et politiquement, qu’un prix cadastral. Enfin, l’impôt pèse au-delà d’un certain seuil de capital immobilier alors que la taxe foncière est au premier euro, et donc frappe également la partie de la valeur immobilière qui n’est pas de la rente.
En tout cas, l’ISF immobilier aurait toute vocation à devenir au fil du temps la base d’une taxe foncière rénovée, faisant mieux revenir à la collectivité une part de ce que les externalités et l’effort public ont pu produire comme plus-values privatisées.
A supprimer l’ISF sur le capital mobilier, n’introduit-on pas un coin fiscal, qui pourrait détourner de l’investissement en pierre ? Pourquoi pas, si c’est au bénéfice de l’investissement industriel. Mais le problème du capital immobilier est avant tout qu’on y investit mal, surtout sur le marché secondaire, ce qui fait monter les prix, plutôt que sur le marché du neuf, qui les fait baisser.
Libérer l’offre ne viendra pas tant d’une rentabilité accrue que de la levée de certains blocages qui pèsent aujourd’hui, comme par exemple un code foncier ou de la location inadaptés. L’impôt y est pour peu de chose.
Cet article a été initialement publié par les Echos le 22 août 2017. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.
Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 18 septembre 2017.
Vos réactions
Belle analogie entre les terres agricoles du XIXe et la pression immobilière sur le bâti des grandes métropoles 200 ans plus tard.
Lorsque l’ISF a été remplacé par l’IFI, je me disais : Pourquoi ne pas envoyer un signal fort aux investisseurs en supprimant purement cet impôt qui incitait à investir à l’étranger. Le résultat est que les Français fortunés ont bien investit en France dans des placements plus productifs souvent situés en dehors des agglomérations ou le terrain est moins cher comme dans l’Est Lyonnais. A terme cela pourrait même inciter une partie de la population à sortir de l’agglomération Lyonnaise ce qui y réduirait la pression immobilière.
De plus, le fait d’avoir maintenu cette taxe immobilière pourrait maintenant permettre de créer des niches fiscales amenant à investir dans le neuf à faible empreinte carbone. Pourquoi pas ?
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