La RSE, en progressant dans les pratiques des entreprises, soulève des enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux qui interrogent désormais la vision traditionnelle de la performance de l’entreprise jusque là limitée à une mesure financière sur une période court terme, pour la faire évoluer vers une conception multidimensionnelle. Ainsi, la notion de « performance globale » s’impose tant dans le monde académique que dans celui des praticiens, selon des définitions relativement proches. D’un côté, elle s’appréhende comme « une performance « quadriaxale », à la fois économique mais également sociale, sociétale et environnementale, résultant des contributions partenariales et des interactions entre ses quatre déterminants » (Uzan, 2013). De l’autre, le CJD la définit (2014) comme la « prise en compte et le juste pilotage des dimensions économiques, sociale, environnementale et sociétale qui créent les conditions d’une performance globale, créatrice de valeurs partagées… ». Néanmoins cette intégration d’informations nouvelles souvent exprimées en termes qualitatifs et quantitatifs est rendue difficile en raison de l’inadaptation des outils comptables et financiers classiques qui mesurent a posteriori  les performances en termes purement financiers, et non a priori par des indicateurs multicritères.

Afin de faire le point sur cette notion de plus en plus centrale, l’ORSE et l’ADERSE ont organisé de 2015 à 2017 un cycle de conférences réunissant des praticiens de la RSE (opérationnels et experts) et des enseignants-chercheurs, spécialistes de la discipline. Il a été initié et coordonné par la Professeure Odile Uzan de l’université Montpelier 3, vice-présidente de l’ADERSE. La réflexion s’est structurée autour de deux axes problématiques : quelles modalités de mesure des performances sociale, sociétale et environnementale ? Quels outils de pilotage de la performance globale ?

 

Quelles modalités de mesure des performances sociale, sociétale et environnementale ?

La première conférence a porté sur la comptabilité environnementale qui s’est développée depuis la fin des années 1960 et qui, comme son nom l’indique, cherche à s’inscrire dans le cadre de la comptabilité générale. Les travaux dans ce domaine visent à élargir ce dernier pour prendre en compte la dimension environnementale, soit en introduisant de nouvelles règles comptables (règles de passation des écritures comptables), soit en proposant de nouvelles modalités de calcul (règles de l’amortissement comptable). A ce titre, ils s’inscrivent tous dans la recherche d’une expression monétaire de la prise en compte des ressources environnementales.

La performance sociale a été appréhendée au prisme de la théorie socio-économique des coûts cachés appliquée dans une quarantaine de pays. L’organisation y est définie comme un mélange de rapports entre conflit et coopération. La performance durable de l’entreprise ou de l’organisation est fonction de ce dosage entre conflit et coopération. Les dysfonctionnements altèrent la performance sociale et économique et créent une insatisfaction des besoins du client ou usager ainsi que du personnel. Ils provoquent aussi des coûts cachés, qui désignent la destruction de ressources réelles et potentielles, en termes de valeur ajoutée ; ils sont constitués de surcharges et de coûts d’opportunité.

La performance sociétale peut être entendue au sens strict « de réalisation d’objectifs d’amélioration des impacts de l’entreprise sur la société », ou au sens large de « contribution de l’entreprise à l’intérêt général et/ou au bien commun dans les sociétés/communautés dans lesquelles elle opère », ou encore « d’objectifs de développement stratégique créateur de valeurs partagées entre l’entreprise et la société » et ce, dans tous les cas, dans le cadre d’un dialogue responsable et constructif avec les parties prenantes concernées. Sa mesure s’effectue principalement par la recherche d’un ensemble cohérent d’indicateurs (qualitatifs, quantitatifs, financiers) et/ou par la méthode dite du « Bilan coûts/avantages » qui s’inspire de la comptabilité analytique et dont l’objet est d’affecter les coûts et les produits par type de projet sociétal.

 

Quels outils de pilotage de la performance globale ?

Les tableaux de bord de type balanced scorecard, de par leurs caractéristiques vont apparaître, tant pour les chercheurs que pour les praticiens, les mieux à même pour à la fois mesurer et piloter la performance globale des entreprises. Le BSC© propose en effet une démarche top/down qui permet de prendre en compte la contribution aux axes stratégiques et à la performance globale de chaque niveau hiérarchique, tout en permettant de faire le lien avec les politiques d’incitations. L’intégration de la RSE/DD dans la BSC© peut se faire soit sans modification de son architecture en la prenant en compte au sein des quatre perspectives traditionnelles, soit en ajoutant un cinquième axe, appelé Axe « Sociétal ».

L’intégration par les entreprises de leurs reporting financier et extra-financier se développe dans la plupart des pays occidentaux. L’Autorité des Marchés Financiers préconise une « démarche d’intégration permettant aux investisseurs de mieux appréhender la stratégie de création de valeur et la performance globale de l’entreprise ». La démarche de l’IIRC, la plus avancée, propose d’articuler stratégie et processus internes afin de piloter la création de valeur. Mais la progression des démarches d’intégration recouvre en fait des principes, des techniques et des pratiques encore hétérogènes. Ces disparités résultent de contingences de nature technologique (selon les métiers), stratégique (selon les objectifs à long terme), organisationnel (selon le mode de gouvernance) et culturelle (selon l’ouverture à la RSE des acteurs de l’entreprise et de son écosystème).

La performance globale d’une entreprise responsable s’évalue également en fonction de sa capacité à créer ou détruire de la « valeur partenariale ». Cette notion s’impose dans le domaine de la RSE au travers d’une double entrée : par les théories de la gouvernance d’entreprise qui mettent en évidence les nécessités d’une gouvernance partenariale ; par les théories de la stratégie d’entreprise qui préconisent de prendre simultanément en compte les intérêts du Business et ceux de la Society. Si le terme de « valeur partenariale » est plus communément utilisé dans le milieu académique, celui de « valeur partagée » renvoie plus précisément aux travaux de Porter et Kramer (2006), qui préconisent  d’actionner les trois leviers de la création de valeur partagée : re-conception de l’offre produits/marchés, déploiement de nouvelles sources de productivité dans la chaine de valeur et construction d’écosystèmes.

 

UZAN O. (Coord.), (2018), RSE et Performance globale, Cycle de Conférences Aderse/Orse, juin 2015 à janvier 2017, disponible sur les sites de l’Orse et de l’Aderse, 60 pages.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 11 décembre 2018.