1973, le premier micro-ordinateur est né : le Micral, conçu par François Gernelle, qui fonctionne sur une fréquence d’horloge de 0,5 Mhz et est équipé d’un processeur disposant de 51 instructions. 1973, c’est aussi l’année où le FASB1 lance un groupe de travail sur la comptabilisation et l’évaluation des contrats de location ; trois ans plus tard, la norme FAS 13 est adoptée et les locations financements se préparent à faire leur entrée dans le bilan des entreprises américaines. Quelques années après, l’IASC2 s’attaque à son tour au sujet ; s’inspirant des réflexions du FASB, il impose l’inscription au bilan des locations ayant le caractère de transaction de financement, les autres restent hors-bilan. Tel est le dispositif sous lequel vivent depuis 30 ans les groupes publiant leurs états financiers conformément aux IFRS ou aux US GAAP.

 

Peu importe que le Micral repose désormais au musée, la micro-informatique a connu le développement que l’on sait. Aujourd’hui, FASB et IASB proposent de remettre à plat le dispositif de comptabilisation des contrats de location hérité des années 1970. Le projet de réforme de la norme IAS 17 sur la comptabilisation des contrats de location est présenté dans le cadre d’un exposé-sondage commun à l’IASB et au FASB, publié le 17 août 2010 avec appel à commentaires se terminant le 15 décembre 2010. La publication par l’IASB est prévue au second semestre 2011.

 

La future norme, remplaçant l’actuelle norme IAS 17 ne devrait pas être applicable avant 2013 ; l’IASB et le FASB viennent de lancer une consultation séparée à ce sujet, Les nouvelles dispositions s’appliqueraient de manière rétrospective en utilisant une approche simplifiée pour les contrats en cours au début de la période comparative présentée; les retraitements à effectuer ne devraient porter que sur les loyers restant à payer à la date de la première application.

 

Cet exposé sondage s’applique à tous les contrats, consentis par un bailleur, qui confèrent au preneur le droit d’utiliser un actif pour une période donnée en échange d’un paiement ou d’une série de paiements. Pour répondre à cette définition, le contrat doit se rapporter à un actif désigné et doit transférer le droit de contrôler l’utilisation de cet actif.

 

Pourquoi un projet d’évolution ?

 

La norme actuelle distingue deux natures de contrats et deux comptabilisations différentes.
 Les contrats de location-financement (finance lease) ont pour effet de transférer au preneur la quasi-totalité des risques et avantages inhérents à la propriété d’un actif. Le preneur comptabilise au début de la période de location l’actif loué en immobilisations en contrepartie d’une dette financière. Pour chaque période comptable, le contrat donne lieu à une charge d’amortissement de l’actif et une charge financière sur le passif.
 Tous les autres contrats sont des contrats de location simple (operating lease). Les loyers sont comptabilisés en charges sur une base linéaire pendant toute la durée du contrat.

 

En pratique, le clivage entre les deux natures de contrat soulève des problèmes. Chez le preneur, des engagements financiers peuvent rester hors-bilan, alors même qu’ils sont significatifs, du fait qu’ils résultent de contrats échappant à la qualification de location-financement.

 

Quelles sont les principales caractéristiques du projet ?

 

Le projet de norme traite de tous les contrats de locations autres que ceux portant sur des actifs incorporels, sur des ressources naturelles (minerais, pétrole et gaz naturel) ou sur des actifs biologiques. Il exclut également les contrats qui sont en réalité des ventes (transfert au preneur du contrôle et de l’essentiel des risques et avantages).

 

La future norme unifie le traitement des locations vues du preneur (toutes les locations, aussi bien les locations « essentielles » portant sur des actifs stratégiques que les autres) et revoit le traitement des locations par les bailleurs. Le projet prévoit :
 L’inscription au bilan du preneur du droit d’utilisation ou droit d’usage du bien loué comptabilisé à l’actif et de l’obligation de payer des loyers comptabilisée au passif ;
 deux modèles de comptabilisation au bilan du bailleur : le modèle de l’obligation d’exécution et le modèle de décomptabilisation.

 

Cas général

Bilan Comptabilisation chez le preneur
Au passif • L’évaluation initiale de l’obligation de payer correspondrait à la valeur actualisée des loyers calculés :
 – sur la plus longue des durées probables en intégrant les options d’extension/ renouvellement /achat,
 – en prenant en compte, sur la base de la moyenne pondérée probabilisée les loyers conditionnels, les paiements au titre d’une garantie de valeur résiduelle accordée par le preneur au bailleur, et des pénalités de résiliation,
 – et en utilisant le taux d’emprunt marginal du preneur (ou s’il est connu le taux d’intérêt facturé par le bailleur au preneur).
• La dette financière serait ensuite évaluée au coût amorti déterminé à l’aide de la méthode du taux d’intérêt effectif. Le versement des loyers serait réparti entre amortissement du nominal de la dette et la charge financière.
• Le taux d’actualisation retenu à l’origine resterait inchangé au cours du contrat.
• En cas de réestimation de la durée du contrat, l’actif représentatif du droit d’utilisation et la dette seraient ajustés sans impact résultat.
• Présentation des passifs des contrats de location séparément des autres passifs financiers dans l’état de la situation financière.
A l’actif • L’évaluation initiale du droit d’utilisation serait égale à l’obligation de payer, augmentée des coûts directs initiaux (commissions, honoraires…) attribuables à la négociation et à la conclusion du contrat.
• Le droit d’utilisation aurait une nature d’immobilisation incorporelle et serait comptabilisé en conformité avec IAS38.
• Il serait amorti sur la durée la plus courte entre la durée de la location et de la durée de vie économique du bien loué et devrait respecter la norme IAS36 sur la dépréciation des actifs.
• Les actifs des contrats de location seraient présentés séparément des autres actifs dans l’état de la situation financière.

 

Modèle Comptabilisation chez le bailleur
L’obligation d’exécution
applicable lorsque le bailleur conserve l’essentiel des risques et avantages potentiels associés à l’actif sous-jacent
• L’actif reste dans les comptes du bailleur et est amorti sur la durée d’utilisation de l’actif par le preneur.
• Une créance au titre du droit à recevoir des loyers est évaluée au coût amorti en utilisant la méthode du taux d’intérêt effectif. Elle est comptabilisée en contrepartie du passif correspondant à l’obligation d’exécution de mise disposition du bien loué.
• L’obligation d’exécution est satisfaite et donc le chiffre d’affaires reconnu de façon continue sur la durée du contrat de location.
• Les actifs et passifs des contrats de location sont présentés séparément des autres actifs et passifs dans l’état de la situation financière.
La décomptabilisation
applicable lorsque le bailleur transfère l’essentiel des risques et avantages associés à l’actif sous-jacent
• La part de l’actif correspondant au droit d’utilisation du preneur est décomptabilisée.
• La valeur résiduelle correspondant au droit du bailleur à l’issue de la période de location est maintenue à l’actif du bilan.
• Le chiffre d’affaires correspondant à la cession du droit d’usage est reconnu au moment de la livraison de l’actif loué en contrepartie de la créance correspondant aux loyers à recevoir.
• Un profit est comptabilisé au commencement de la location si la valeur comptable de la créance de loyers excède la partie de l’actif loué décomptabilisé.
• Des produits sont comptabilisés pendant la durée du bail, au titre des montants à recevoIr du preneur et de toute dépréciation éventuelle de la participation résiduelle dans l’actif loué.

 

Simplification possible pour les contrats d’une durée inférieure à 1 an

Pour les contrats de courte durée (moins de 12 mois options de renouvellement comprises), preneur comme bailleur pourraient recourir à un traitement simplifié sur option, une option exerçable contrat par contrat. Le preneur comptabiliserait alors à son bilan un actif correspondant au droit d’utilisation et un passif égal à la valeur non actualisée des loyers à payer ; au compte de résultat, l’amortissement du droit d’utilisation reflèterait exactement le montant des loyers. Quant au bailleur, il n’aurait rien à faire de plus que ce qu’il fait aujourd’hui : comptabiliser les produits de location au fur et à mesure qu’ils courent.

Quelles conséquences sur les indicateurs financiers et les ratios de performance ?

 

L’évolution de la norme IAS va se traduire pour les entreprises par une activation quasi-systématique des contrats de location. De ce fait, ce projet pourrait avoir des effets majeurs sur tous les ratios et agrégats financiers des entreprises et en particulier sur les ratios de performance et d’endettement. Plus la part des contrats de location simple dans le portefeuille des actifs détenus est élevée, plus l’impact sur la variation des ratios risque d’être élevée.
Chez le preneur, l’activation des contrats de location simple améliorera immédiatement la marge opérationnelle dégagée par l’entreprise, point de départ de l’analyse de la rentabilité financière de l’entreprise et de la performance de ses managers. L’entreprise devra donc être vigilante lors du premier exercice d’application en corrigeant l’évolution de la marge liée à l’effet de la mise en œuvre de la nouvelle norme pour apprécier sa véritable performance et celle de ses managers.

 

A l’inverse, l’activation des contrats risque de dégrader le ratio d’endettement (dettes sur capitaux propres) et de détériorer le résultat financier. Les entreprises qui avaient cédé leurs actifs pour améliorer leur situation financière en diminuant leur endettement vont devoir réintégrer la dette liée à la location simple. Cette évolution risque d’influer sur la stratégie d’investissement et de financement des entreprises, en particulier sur le choix entre location ou achat en pleine propriété.

Relevons cependant que cette activation n’aura aucun impact sur la trésorerie des entreprises puisqu’elle ne change pas les paiements prévus au contrat. Elle n’a d’effet que sur la présentation des états financiers.

 

L’activation des contrats de location ne devrait pas non plus avoir d’influence majeure sur la notation financière des entreprises puisque les agences de notation considèrent déjà les engagements de location comme des équivalents à de la dette. En effet, les critères de ces agences réintègrent les principaux effets de l’activation des contrats de location dans l’EBITDA et dans la dette nette.

Quelles conséquences pratiques pour les entreprises ?

 

Les entreprises vont devoir recenser tous leurs contrats de location (y compris ceux concernant les matériels, les immeubles, les photocopieurs, l’informatique….) et repérer les caractéristiques de ces contrats. En effet ces contrats devront être classés en « moins de 12 mois » (application simplifiée de la norme) ou 12 mois et plus (application complète de la norme).

 

Les aspects systèmes et procédures ne doivent pas non plus être négligés. Si on peut penser que la plupart des SI intègre déjà l’ensemble les informations relatives aux contrats de location-financement, ce n’est pas obligatoirement le cas de tous les contrats de locations simples, souvent très nombreux et décentralisés dans les établissements. Il faudra donc organiser les remontées de données, intégrer les volumes et adapter les systèmes d’information en conséquence si nécessaire.

 

Les entreprises ayant des contrats d’emprunt assortis de clauses de défaut assises sur l’EBITDA, la couverture des charges d’intérêts, un ratio d’endettement ou autre auront à vérifier qu’elles respecteront toujours les limites convenues, ou bien à rediscuter ces clauses.

 

Pour toutes ces raisons, les entreprises devront donc anticiper la mise en œuvre d’autant que la nouvelle norme sera d’application rétrospective.

Que faut-il en penser ?

 

Même si d’aucuns ont parlé de ce projet comme une révolution, relativisons: la révolution remonte aux années 1970. Aujourd’hui « évolution » est un terme plus approprié, une évolution commandée à la fois par les changements dans la pratique des entreprises, l’expérience et les avancées de la réflexion comptable. Si la future norme aide à mieux cerner l’étendue du capital productif des entreprises et l’étendue de leurs engagements financiers, c’est une bonne chose. Encore faut-il que les entreprises disposent du temps nécessaire pour se préparer, car sur le plan opérationnel, la mise en œuvre ne sera pas une mince affaire.

 

Reste qu’en son état actuel, ce texte contient aussi des dispositions qui semblent difficiles à comprendre et à mettre en œuvre sur le plan opérationnel, C’est maintenant qu’il faut le dire en répondant à la consultation lancée par les deux normalisateurs.

 

1. Financial Accounting Standards Board (comité des normes comptables et financières).
2. International Accounting Standards Committe (comité des normes comptables internationales), prédécesseur de l’actuel IASB (International Accounting Standards Board, organe exécutif de l’instance de normalisation comptable internationale).