Les banques de la zone euro sont plus exposées que jamais aux obligations souveraines de leur propre pays. Ce billet soutient que les membres de la zone euro peuvent maintenant se permettre de dire à leurs banques de diversifier, mais une pression venue d’Allemagne, d’Autriche, de France et de la BCE pourrait être nécessaire. Désamorcer le lien pernicieux entre les banques fragiles et les Etats fragiles de la zone euro réduirait le coût de toute nouvelle crise et réduirait la probabilité de sa venue. [Ce billet est un extrait du papier « Sovereign default risk and banks in Europe’s monetary union » paru dans Vox-EU.]

Avec le premier anniversaire de l’annonce du président de la BCE, Mario Draghi, de faire quoi qu’il en coûte (whatever it takes) pour défendre l’euro et l’annonce du programme OMT (Outright Monetary Transactions), les rendements obligataires ont baissé et les craintes de défauts souverains ont reculé dans des pays comme le Portugal, l’Espagne et l’Italie. On espère tous que le danger est derrière nous.

Mais il ne s’agit peut-être que d’un répit avant le retour de la tempête. C’est donc le bon moment, juste maintenant, de solidifier ce que nous avons et de rendre le système financier de la zone euro plus robuste face à de tels risques dans le futur.

Diversifier le risque bancaire

Il m’a toujours semblé évident qu’une bonne voie est de pousser les banques à se diversifier en s’allégeant de leurs risques nationaux. Si les banques espagnoles ne portaient pas d’obligations de l’Etat espagnol, si les banques portugaises ne portaient pas d’obligations portugaises, et ainsi

de suite, un défaut souverain ou même juste une chute du prix de ces obligations due à la peur accrue d’un défaut n’affecteraient pas ces banques directement.

On peut tenir un argument similaire pour des portefeuilles obligataires qui peuvent être fortement affectés par des craintes de défaut. Un défaut souverain conduirait à des pertes quelque part, mais si ces obligations sont détenues au sein d’un portefeuille beaucoup plus large et par des entités capables de supporter le risque de marché contre un rendement approprié, il est improbable que la peur d’un défaut souverain revienne avec la même force, ou qu’un tel défaut déclenche un effondrement financier, comme on le craignait dans le passé.

C’est donc le bon moment pour forcer les banques à se diversifier. Mais peut-être ont-elles déjà commencé à le faire ?

La diversification en pratique

Malheureusement, la diversification ne semble pas avoir été faite. Une recherche par Acharya et Steffen (« The ‘Greatest’ Carry Trade Ever? Understanding Eurozone Bank Risks », 2013) montre qu’ « au fil du temps, il y a un accroissement du ‘biais domestique’, à savoir une plus grande exposition des banques d’un pays à la dette de leur propre Etat ».

Le graphique qui suit en fournit un simple résumé. Les données proviennent des tests de résistance faits sur les banques européennes en 2011 ; elles font figurer la fraction de la dette souveraine détenue en dettes du propre pays de la banque, après agrégation sur toutes les banques du pays. Les banques du Portugal, Espagne et Italie portent plus de 70% de leur stock d’obligations souveraines sous forme d’obligations de leur pays. Ainsi, au lieu de garantir le futur du système financier européen, ces banques le rendent plus fragile. Comment a-t-on laissé faire cela ? Pourquoi les politiques n’ont pas fait plus pour couper ce lien tragique entre les banques et leur souverain, afin de préserver les deux ?

Graphique 1.

Risque de défaut souverain et banques dans l’Union monétaire européenne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Beaucoup de raisons viennent à l’esprit. Dans un papier écrit en 2013 (« Sovereign Default Risk and Banks in a Monetary Union »), je soutiens que ce sont les interactions entre les banques, leur régulateur et la possibilité de transférer le risque vers la banque centrale (qui prend en pension les obligations souveraines) qui sont au cœur du sujet. Je montre que la taille des décotes (haircuts) appliquées par la BCE en guise de provision n’a aucun effet, sachant que c’est la BCE qui fournit la liquidité en premier lieu.

Mettons-nous un ou deux ans en arrière, quand la crise était à son sommet et que les défauts souverains au sein de la zone euro étaient dans le domaine du possible. Si disons l’Espagne fait défaut, alors les banques qui portent la dette espagnole seront affectées. Avec le biais domestique, ces banques seront des banques espagnoles. En sens inverse, puisque les mécanismes d’assurance des dépôts et de régulation sont nationaux par nature, les faillites bancaires espagnoles affectent les finances du gouvernement espagnol.

Le risque de défaut des banques espagnoles accroît donc les craintes de défaut de l’Etat espagnol. Comme les gouvernements des pays à fort coût de la dette se battent désespérément pour trouver des acheteurs pour leur dette, leurs régulateurs encouragent les banques de ces pays à investir dans cette dette, par exemple en échange d’un regard plus accommodant sur leurs problèmes de bilan ou peut-être avec d’autres formes de pression douce. Les régulateurs des pays forts cherchent au contraire à dissuader leurs propres banques de détenir de la dette des pays faibles et imposent que les pertes ne soient portées que par les actionnaires. C’est une version de la répression financière, telle que la décrit Carmen Reinhart (« The Return of Financial Repression », 2012).

En résultat, et sachant les mesures en faveur de la liquidité prises par la BCE, le défaut éventuel d’un pays faible finit pour partie dans le bilan de la BCE. Ces pertes potentiellement transférées ne sont pas prises en compte dans le coût de la dette quand les banques d’un pays en font l’achat. En conséquence, les pays faibles arrivent à emprunter à coût plus bas, ce qui est d’ailleurs le but recherché.

Où faut-il aller à présent ?

Aujourd’hui, les rendements obligataires peuvent être gérés. Les pays peuvent se permettre de dire à leurs banques de se diversifier et de vendre leur portefeuille d’obligations domestiques sur le marché. Si mon histoire est vraie, les régulateurs d’Espagne, d’Italie et du Portugal ne le feront pas de leur propre chef. Une pression gentille de l’Allemagne, de l’Autriche et de la France aiderait, de même qu’une pression de la BCE. Sachant ces pressions, il n’y aurait pas de stigmatisation attachée à ces ventes. Ce serait un pas utile vers la prévention d’une nouvelle crise, et en rendant ses effets moins coûteux dans le cas où elle viendrait. Il est temps d’agir maintenant.