De façon ultime, pour une banque comme pour toute entreprise, les fonds propres sont un coussin ou une assurance contre des dépréciations non anticipées des actifs au bilan. Il est donc naturel de dire : plus un prêt bancaire est risqué, plus il faut des fonds propres en face.

Bâle 1, puis Bâle 2, puis maintenant Bâle 3 ont systématisé ce raisonnement, pour en faire un pivot du pilier 1 de la régulation bancaire, celui qui s’occupe de déterminer le niveau minimal de fonds propres requis par la banque. En pratique, la banque calcule un encours de crédits pondérés par leur risque, ou risk weighted assets (RWA), avec des pondérations fixes données par le régulateur ou issues d’un modèle de risque interne. La banque doit alors porter des fonds propres au-delà d’un certain niveau de ce RWA.

On a critiqué fortement son mode de calcul : les modèles de risque sont-ils capables de déterminer correctement les probabilités de défaut de certaines contreparties, sachant notamment qu’il s’agit d’événements rares, dont l’occurrence est difficile à estimer ?

Mais on entend moins une critique tout aussi puissante qui porte sur la notion même de pondération de risque. Elle tient au caractère endogène et systémique du risque, qui complique singulièrement tout essai de mesure. Certains y voient une des origines de la crise financière ouverte en 2007 ou de son rebond en 2011 avec la crise de l’euro.

Par exemple : le régulateur donne une pondération plus faible aux prêts immobiliers des ménages, en raison de leur bonne diversification et surtout de l’hypothèque qui est associée à ces prêts. De même, on affecte d’un poids très léger ou nul les prêts ou titres négociables portés par la banque sur les États de l’OCDE. Qu’advient-il alors ? Si la banque a un objectif d’optimisation de ses fonds propres, elle orientera son activité de prêts vers les domaines présentant le moindre coût en capital. Ceci a largement expliqué pourquoi les banques, tant aux États-Unis que surtout en Europe, se sont largement investi dans les crédits immobiliers et le portage de titres d’État. Les banques font bien sûr un calcul d’optimisation qui prend en compte la rentabilité de l’activité et pas uniquement le coût en fonds propres. Mais en pratique, la pondération reste déterminante.

Les coefficients de pondération des risques sont fondamentalement instables

Mais si toutes les banques font cela, elles favorisent collectivement une bulle de financement sur ces classes d’actifs. Le risque objectif de l’immobilier change radicalement de niveau parce que l’effet de diversification disparaît subitement ou, dit autrement, la corrélation s’accroît. Le risque souverain également puisqu’il s’accole davantage au risque du secteur bancaire. Ce qui était faiblement pondéré porte un plus gros risque. À l’inverse, et toujours par le jeu collectif des banques, les activités lourdement chargées voient leur risque objectif se réduire.

La critique est donc que les coefficients de pondération des risques sont fondamentalement instables. De plus, lorsqu’ils sont affichés par le régulateur, comme c’est le cas avec le modèle standard de calcul du capital requis, ils prennent quasiment un caractère d’injonction, ce qui accroît l’endogénéité du risque.

On retrouve là ce que les économistes identifient sous le nom de « critique de Lucas » : il n’y a pas de comportement stable indépendamment de l’action du décideur politique. Il serait imprudent par exemple de supprimer le gardiennage à Fort Knox sous prétexte que Fort Knox n’a jamais connu, sinon depuis Goldfinger, de tentative de cambriolage. Pour causer comme en physique quantique, il est possible de connaître le niveau du risque ou bien l’évolution du risque, mais il est impossible de connaître à la fois le niveau et l’évolution du risque.

Quelle conséquence pour la régulation bancaire ? Tant par manque de robustesse face aux événements rares qu’en raison du caractère endogène du risque de crédit, il est bon de mettre une certaine sourdine aux modèles de calcul du capital requis. Se fait jour de plus en plus l’idée de s’en remettre de façon privilégiée à des tests de robustesse calculant l’impact sur le bilan de tel choc extraordinaire sur l’environnement économique. Cela n’implique pas de remiser au placard la notion de RWA, mais plutôt de la voir comme un indicateur-clé de gestion de la banque ou de dialogue avec le régulateur (pilier 2). Ceci parce qu’il reste de bon sens de mettre davantage de côté quand on s’engage dans une activité risquée.