Vernimmen : Il y a eu une réforme du droit des faillites en 2021. Quelles en sont les grandes lignes ?

Hélène Bourbouloux : L’ordonnance du 15 septembre, qui est en œuvre et mise en application au 1er octobre 2021, vient parachever un mouvement qui a été assez progressif dans les 20 dernières années en France, qui nous a valu probablement une réforme tous les deux ans. Donc une difficulté quand même à stabiliser le paysage réglementaire pour traiter du droit des entreprises en difficulté, mais qui inscrit en fait le traitement dans un standard qui correspond aux normes internationales. On se rapproche de plus en plus de l’ajustement et d’un traitement des difficultés au vu de la valeur de l’entreprise, permettant de reconnaître aux créanciers des droits disparates selon en fait leur rang dans la hiérarchie des stakeholders. C’est le parachèvement d’une construction qui avait commencé avec les comités de créanciers en 2006, mais qui fonctionnait mal, mélangeant des choux et des carottes, des banques d’un côté, des obligataires de l’autre, sans trop se poser la question de savoir s’ils étaient sécurisés ou non sécurisés.

La grande nouveauté qui était très attendue, et qui était une faiblesse de notre dispositif en France, c’est que l’actionnaire était considéré comme le propriétaire juridique de l’entreprise et non pas comme un créancier de classe ultime. Avant cela, il y avait des outils qui permettaient d’écraser des créanciers minoritaires dans certaines circonstances, mais jamais on ne pouvait forcer un actionnaire à une transaction ou une restructuration, même quand l’action avait une valeur en dehors de la monnaie, c’est-à-dire dont la valeur financière est négative du fait d’un montant de dettes supérieur à la valeur de l’actif économique (ndlr). Cela posait peu de difficultés avec les actionnaires un peu sophistiqués et attentifs à leur réputation, notamment les fonds de private equity. Rarement, on les a vu prendre en otage la collectivité des créanciers. En revanche, pour des sociétés cotées avec un actionnaire de référence à 15 ou 18 %, c’était plus fréquent. En effet, pour imposer le deal, il fallait un vote favorable des actionnaires qui, n’ayant plus droit à rien dans la valeur, n’étaient pas non plus intéressés à voter pour, et tant qu’à faire votaient contre. Cela piégeait toute la collectivité des créanciers de meilleurs rangs, y compris évidemment in fine l’entreprise. Notre droit restait à cet égard très ancré sur le sauvetage de l’entreprise.

C’est assez rare que les actifs réalisés en liquidation permettent un meilleur désintéressement des créanciers. J’en veux pour preuve des statistiques assez fortes sur le taux de désintéressement des créanciers dans le droit français, versus l’Allemagne et le Royaume-Uni. En Allemagne, ce taux est de 22 % contre 21 % en France. On n’est pas totalement éloigné de la performance allemande, alors que le chiffre est de 13 % au Royaume-Uni, alors qu’on a à l’esprit une meilleure efficacité du droit anglo-saxon. À tort ! Alors d’où vient ce biais ? Le biais est en partie lié au fait que ce ne sont pas les mêmes créanciers qui perçoivent. En France, on trouve la classe des salariés, du Trésor Public, ensemble de créanciers qui viennent au premier rang et qui peuvent absorber une partie de l’actif, d’où cette perception. Mais si on regarde en masse globale du passif, on n’est pas hors des normes.

Dernière observation, ce sont plutôt les autres pays qui ont introduit, dans leur transposition de la directive européenne, des modifications d’inspiration française, en particulier en intégrant la prévention et toutes les procédures de pre-insolvency et d’anticipation, y compris les procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaires, qui sont souvent vues en France comme des échecs, alors qu’en réalité ce sont des vraies procédures de prévention au sens où elles évitent la liquidation judiciaire. Donc la France a un système beaucoup plus axé sur le maintien de l’activité vivante, mais au bénéfice de stakeholders qui doivent être dans l’ordre des contrats d’origine, versus la liquidation, qui s’avère au niveau européen plutôt comme moins performante.

Vernimmen : Et vous Pierre-Olivier, au CIRI, qu’est-ce que vous avez comme ressenti sur cette réforme qui est entrée en application finalement assez récemment ?

Pierre-Olivier Chotard : Nous sommes très contents de cette réforme pour deux raisons. La première raison est qu’il s’agit d’une réforme d’harmonisation européenne, et c’est un changement et une bonne chose par rapport aux réformes récentes : ça participe de l’approfondissement du marché intérieur en permettant une meilleure allocation des ressources économiques sur le territoire de l’Union et en facilitant les investissements transfrontaliers au sein de l’Union. On est très contents en France de cette réforme qui renforce notre modèle français et potentiellement, on l’espère, la place de Paris. Par exemple, on préserve le modèle français de résolution amiable préventif des difficultés des entreprises, et donc l’ensemble des dispositifs préventifs dont on dispose en droit français qui ont été pleinement reconnus à l’occasion de cette directive. C’est une bonne chose.

Seconde raison, rappelée par Hélène Bourbouloux, la réforme qui renforce le droit des créanciers vis-à-vis des détenteurs de titres de capital. Par ailleurs, la réforme met un terme à des phénomènes de durée excessive des procédures, ce qui ralentissait les processus de restructuration. Les créanciers en étaient mécontents, parce qu’ils se retrouvaient enfermés dans des situations longues et non satisfaisantes au plan économique.

Vernimmen : Hélène qu’est-ce que tu as comme remontées du terrain, toi qui es non seulement basée en Île-de-France, mais avec de nombreux bureaux en province, sur le climat des affaires en difficulté en ce moment ?

Hélène Bourbouloux : Si vous prenez le nombre habituel d’entreprises en faillite bon an, mal an dans les 15 ans qui ont précédé le covid, c’est 40 000-42 000 les petites années, 60 000-65 000 juste après la crise des subprimes. Dans ce nombre, plus des deux tiers, c’est-à-dire à peu près 40 000 sur 50 000 ou sur 60 000, sont des entreprises entre 0 et 1 salarié, qui sont en fait des démarches de dépôt de bilan volontaire.

Il faut donc rappeler que la valeur et l’impact des faillites et de ce qu’elles représentent ne sont pas dans ces 40 000 avec zéro ou 1 salarié, et un montant de dettes tout à fait marginal.  On le trouve dans les 12 à 15 000 dossiers de redressement judiciaire ou de sauvegarde chaque année, dont 6 000 qui donnent lieu à désignation d’un administrateur judiciaire (obligatoire au-dessus de 20 salariés, ndlr). Vous avez bon an, mal an entre 400 et 500 entreprises qui déposent le bilan en employant plus de 50 salariés. C’est très faible 50 salariés. Donc 50 à 60 000 faillites, mais seulement même pas 1 %, qui emploient plus 50 personnes. Et vous avez 30 dossiers par an de plus de 300 personnes, ça c’est assez constant, et ça englobe le redressement et la sauvegarde.

Tout ça pour dire que la richesse économique est concentrée en fait sur un petit nombre de dossiers. D’où l’importance d’avoir un système performant pour des entreprises de taille plus importante. Et la réforme qu’on vient d’évoquer porte sur les classes de parties affectées avec l’obligation de constitution de créanciers par classe à partir de 250 salariés. Cela va concerner 15 dossiers par an au maximum, mais c’est dans ces dossiers-là qu’on va trouver la masse d’emplois, de chiffre d’affaires et de dette la plus élevée.

Autre statistique importante pour casser les idées reçues : le sauvetage d’emploi en France dans les procédures collectives est de 68 %, ceci soit à travers des plans de sauvegarde, des plans de redressement ou des plans de cession, ce qui est très significatif. On n’a donc pas un mauvais système en France. Il est complexe, mais il fournit une boîte à outils assez large, entre les outils de la prévention et les procédures collectives.