La crise financière de 2008 n’a pas fait qu’ébranler Lehman Brothers, Bear Stearns, Wachovia, Washington Mutual, Merrill Lynch, Citigroup, UBS, RBS, ING, RBoS, IKB, Northern Rock, Dexia, Fortis, Commerzbank, Bank of Ireland, et bien d’autres. Elle a durablement remis en cause, nous semble-t-il, quatre croyances ou postulats utilisés par la théorie financière :

  • la croyance selon laquelle, à condition d’offrir le bon couple risque/rentabilité, il est toujours possible de trouver de la liquidité sur le marché ;
  • la croyance selon laquelle les marchés donnant à tout moment une juste valeur, celle-ci peut être reprise largement dans les bilans des entreprises ;
  • la croyance en l’existence d’un actif financier sans risque ;
  • la croyance que la loi normale représente bien la distribution des taux de rentabilité sur le marché.

 

1/ La croyance en une liquidité toujours présente

Elle a été démentie le 9 août 2007 quand BNP Paribas a suspendu temporairement la valorisation et donc la commercialisation de 3 fonds partiellement investis en titres subprime[1] suite à un arrêt brutal des transactions sur subprimes  depuis le 6 aoûtCertains ont voulu y voir le début de la crise, voire sa cause de la même façon que lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt.

Dans un autre registre, nous nous rappelons d’un directeur financier d’un grand groupe du CAC 40 qui, à la mi-novembre 2008, déclarait devant une centaine de nos étudiants qu’il ne savait pas comment son groupe allait faire à la fin du mois pour payer les salaires de dizaines de milliers de salariés. Nous ne nous rappelons plus si nous fûmes plus stupéfaits par le fait qu’une telle confidence puisse être faite en public dans un contexte financier explosif ou par le fait qu’un groupe si puissant en soit à racler les fonds de tiroirs et quémander des liquidités comme César Birotteau après la fuite du notaire Roguin.

Les nombreux financiers d’entreprise qui ont alors passé des nuits banches ne sont pas prêts d’oublier la leçon : la liquidité est comme l’eau sur le sable de la plage : elle est là tant qu’elle est là, mais elle peut disparaître à tout moment en un instant. D’où le développement des produits d’assurance contre le risque d’illiquidité : cash maintenu à l’actif du bilan pour les entreprises et en dépôt à la Banque centrale pour les banques, voire pour les très grands groupes acquisition d’une banque pour pouvoir déposer à la Banque centrale leurs liquidités (Siemens, Airbus), lignes de crédit confirmées mais non tirées, etc.[2]

2/ La croyance en la suprématie systématique de la juste valeur

Si les marchés sont capables à tout moment de donner une juste valeur pour tout actif, il n’est pas insensé de vouloir dans certains cas de figure la faire figurer au bilan de celui qui détient cet actif. En effet, il est possible de céder cet actif à tout moment pour une valeur de marché. Certes cela introduit la volatilité des marchés financiers dans le bilan, voire le compte de résultat si la contrepartie de la fluctuation de la valeur n’est pas un poste de l’état de résultat global[3]. En contre-partie, on pourrait plaider que ces actifs ne sont inscrits au bilan que pour la valeur qu’il est possible d’obtenir d’eux et non une valeur théorique, historique comme un coût d’acquisition amorti ou provisionné.

Mais si, à un moment donné, les marchés financiers sont en panne et ne peuvent plus donner une évaluation fiable pour ces actifs, cet avantage disparaît, la juste valeur devient aussi théorique qu’un prix de revient comptable et la volatilité qu’elle a introduite n’a plus de contrepartie positive.

La chute du domino de la liquidité entraine celui de la juste valeur.

3/ La croyance en l’existence d’un actif financier sans risque 

Son existence est centrale dans le modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF) qui reste, à ce jour, parmi les praticien de la finance le seul outil d’évaluation du taux de rentabilité à exiger de tout actif[4], alors que parmi les chercheurs, le modèle de Fama French est de loin le plus utilisé[5]. Mais ce dernier est plus compliqué à mettre en œuvre et est peu enseigné. La dichotomie actuelle pourrait donc perdurer.

Nous avons déjà[6] indiqué notre conviction qu’il n’était plus possible de se comporter comme des autruches face à la détermination de l’actif sans risque, souvent retenu comme une obligation d’Etat à 10 ans sous prétexte de leur plus grande liquidité et d’une duration longue, similaire à celle des actions. Que l’on passe sur le risque de fluctuation de valeur d’une obligation à 10 ans (qui n’est pas théorique compte tenu de sa duration), sur le risque d’inflation, sur celui de réinvestissement des coupons, soit.

Mais la découverte du risque de solvabilité d’un certain nombre d’Etats, anciennement notés AAA ou d’autres dont les dettes étaient cotées comme si elles étaient notées AAA, fait qu’il n’est plus raisonnablement possible de considérer comme un taux de l’argent sans risque une obligation d’Etat de longue durée. Trop c’est trop !

Ne soyons pas naïf. Nous écrivons depuis des années que le concept d’actif sans risque est une vue de l’esprit. Croire qu’il n’y a pas de risque, c’est faire preuve soit d’une confiance excessive en soi, soit d’une incapacité à penser l’avenir, deux défauts très graves pour un financier.

Aussi préconisons-nous de retenir comme taux de l’argent sans risque pour la détermination du taux d’intérêt à exiger sur un actif un taux à court terme, comme ceux des bons du Trésor à un mois pour lesquels les risques de solvabilité, de fluctuation de la valeur, d’inflation et de réinvestissement des coupons sont négligeables ou nuls.

4/ La croyance que la loi normale représente bien la distribution des taux de rentabilité sur le marché

Une loi normale ou loi de Gauss est séduisante par bien des aspects : simple de représentation (une courbe en cloche symétrique), ne se définit que par sa moyenne et sa variance et décrit bien de nombreux faits de la nature ou de la vie humaine.

Cependant en matière de comportements boursiers, elle sous-estime nettement la probabilité des évènements extrêmes. Ainsi une variation de 5% ou plus des cours ne devrait se produire qu’une fois tous les 15 ans. Elles ont été de 48 sur le CAC 40 sur les 20 dernières années. Il ne devrait y avoir qu’une fluctuation supérieure à 6% tous les 260 ans. Il y en a une en moyenne une par an.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autrement dit, la répartition réelle des taux de rentabilité montre des queues de distribution beaucoup plus épaisses que celles que suppose la loi normale. D’où le développement de lois alternatives comme la loi de Fréchet ou l’approche par les fractales de Benoît Mandelbrot.

 

[1] Pour plus de détails sur les subprimes, voir la Lettre vernimmen.net n° 60 d’octobre 2007

[2] Pour plus de détails, voir le chapitre 43 du Vernimmen 2014

[3] Pour plus de détails sur l’état de résultat global, la Lettre vernimmen.net n° 108 de juin 2012

[4] Pour plus de détails sur le MEDAF, voir le chapitre 22 du Vernimmen 2014

[5] Pour plus de détails sur le modèle de Fama French, voir le chapitre 23 du Vernimmen 2014

[6] Dans la Lettre vernimmen.net n°111 de décembre 2012