Les dirigeants de sociétés cotées sont sous le feu de nouvelles exigences. Exigences managériales d’abord, surtout de la part des jeunes générations qui ont des ambitions et des aspirations professionnelles décalées, par rapport aux cadres mentaux des managers et des dirigeants des grandes entreprises. Face à ce qu’ils qualifient eux-mêmes de «boomer leadership», c’est-à-dire développer une marque employeur et une stratégie RH pour diminuer les départs non souhaités et attirer les talents, ne suffit pas. Une vision trop idéaliste et des promesses non tenues ont vite fait d’être contredites sur les réseaux sociaux. Des salariés récemment recrutés vivant une expérience positive attireront spontanément de nouveaux profils et contribueront à la e-réputation de l’entreprise. Limiter le poids hiérarchique, pour favoriser l’espace de liberté d’équipes soucieuses de confiance, d’initiatives, de créativité et de reconnaissance, passe par une véritable transformation culturelle, managériale et digitale. Faire grandir ses collaborateurs et leur insuffler le sens du résultat et du partage est aujourd’hui le principal levier de croissance de l’entreprise.

Exigences sociétales ensuite, pour des dirigeants qui subissent de nouvelles contraintes d’image, sur lesquelles ils sont vivement encouragés à s’exprimer publiquement, sans être forcément convaincus par des problématiques étrangères à leur expérience. Ainsi en est-il de la «raison d’être» de l’entreprise et de «l’investissement socialement responsable» (ISR) privilégiant des fonds thématiques labellisés ISR (bas carbone, égalité femmes-hommes, etc.). Ces fonds permettent aux épargnants de donner du sens à leurs placements et incitent les gestionnaires d’actifs à investir dans des entreprises réputées pour leurs bonnes pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). La prise en compte de ces critères extra-financiers doit permettre une meilleure appréciation et maîtrise des risques potentiels auxquels l’entreprise est exposée. Incarner proactivement cet engagement sociétal devient, pour les investisseurs, une condition sine qua non de performance durable, et, pour le dirigeant soucieux de sa réputation, une façon de s’impliquer personnellement et de montrer son alignement avec les tendances lourdes de l’économie.

Le temps où l’on évaluait un PDG sur sa seule performance financière pour l’actionnaire est révolu. Il lui est demandé aujourd’hui de répondre également aux préoccupations des autres parties prenantes et de générer une performance sociétale. Mais s’écarter de la stricte recherche de rentabilité immédiate n’est pas sans danger boursier. Attention également aux belles déclarations d’intention ESG non suivies d’effet, pouvant conduire à la mise à l’index de l’entreprise par les fonds et les réseaux sociaux. Il revient aux dirigeants de veiller scrupuleusement à la cohérence entre l’image de l’entreprise perçue par la société civile et la réalité des perspectives financières et des engagements pris par celle-ci. Attention aussi à ne pas ignorer les impacts négatifs de l’entreprise sur son environnement. A défaut d’une prise d’engagements pluriannuels par le dirigeant, les pouvoirs publics pourraient bien finir par lui faire payer le coût de ses externalités négatives.

Exigences éthiques enfin, face à la crise de défiance généralisée, notamment au regard de l’explosion parfois indécente des rémunérations des dirigeants, en particulier dans les composantes de leur part variable et de l’insuffisance de l’information publiée sur les politiques de rémunération. Des exemples récents ont montré l’absence de transparence en la matière et les dérives d’un capitalisme de connivence et d’une personnalisation du pouvoir sans contrôle. La reconquête de la confiance exige la mise en place de réformes radicales dans la gouvernance d’entreprise. Les citoyens ne ferment plus aussi facilement les yeux sur les abus des élites qui les gouvernent. L’idée d’une quelconque impunité est insupportable. On ne demande pas aux dirigeants d’être des saints. L’exemplarité dans la gouvernance devient en revanche indispensable, étant précisé qu’aucune règle formelle de gouvernance ou de conformité ne pourra se substituer à l’éthique et à l’honnêteté des dirigeants. Une bonne gouvernance est un atout pour la compétitivité et la durabilité des entreprises. C’est la vraie transformation attendue des dirigeants. Elle est à la mesure de l’importance de leurs responsabilités et de leurs packages de rémunération.

 

Cet article a été publié sur Option Finance le 16 mars 2020. Il a également été publié sur Vox-Fi le 23 avril 2020.