Sortie de crise : changement de paradigme ou simple adaptation ?
Puisque les experts de tout bord discutent de la façon dont évolue la crise, qu’on permette aux praticiens d’entreprise d’y réfléchir eux-aussi, avec la difficulté supplémentaire de devoir le faire, tout en gérant un quotidien rendu imprévisible. Une bonne gestion financière de tous les jours est devenue une question de survie, au même titre qu’une stratégie financière adaptée est la condition d’un rebond dans la course post-crise.
Le monde bascule. Les Trésors et les banques centrales des grands pays organisent le plus grand transfert de tous les temps de la dette privée vers la dette publique, et les débats sur l’opportunité de nationaliser les banques deviennent politiquement corrects dans les pays anglo-saxons. La FED et la Banque d’Angleterre, rompant avec les dogmes, annoncent qu’elles achèteront désormais autant que nécessaire, les émissions primaires de bons du Trésor qui ne trouveraient pas preneur. La BCE n’en est pas là, pour des raisons statutaires, mais cela peut très vite évoluer comme on l’a entendu dire, sur un autre point, par le ministre allemand des Finances, précisant que les pays de la zone euro ne laisseraient pas un des leurs faire faillite. Les dettes gigantesques actuelles devront bien être remboursées et seules deux solutions existent : la hausse des impôts ou le retour de l’inflation.
Après 30 ans d’« années Reagan », la règlementation est de retour, à la fois pour des raisons éthiques (peut-être) et d’efficacité économique (espérons-le). On voit déjà des premières tentatives, impensables en tout autre temps, de « moraliser » le capitalisme avec un nouveau discours sur les paradis fiscaux, visant notamment à augmenter les recettes fiscales des pays spoliés.
Les changements abondent aussi au niveau microéconomique : les entreprises vont moins se reposer sur les marchés financiers pour leur financement ; il y aura un retour à l’autofinancement, nécessitant des marges plus fortes ; une intériorisation de la notion de « risque systémique », obligeant les entreprises à rechercher, y compris avec l’aide des États, des garde-fous…
Les prochains mois pourraient donc bien être marqués par des bouleversements dans les dogmes et croyances auxquels le directeur financier se rattachait jusque-là. Et à nouveau, il lui faudra s’adapter à cette nouvelle donne tout en restant à la manœuvre.
La recherche de financement et de réduction des coûts seront les deux priorités à court terme. Mais la préparation d’un plan d’actions et d’un contrôle de gestion dans un contexte inflationniste devra aussi être sérieusement envisagée. Et les « vieux » ouvrages nous rappellent la difficulté, dans un environnement de hausse des prix et des impôts, de créer de la valeur dans de bonnes conditions. Or les équipes aux commandes des entreprises en 2009 ne connaissent ces problèmes que de façon livresque…
Par ailleurs, nous vivons depuis maintenant un an sans être certains que les marchés donnent des prix justes aux actifs. Les décideurs font-ils dans ce contexte les bons choix d’investissement ? Ou l’incertitude ambiante ne bloque-t-elle pas tous les nouveaux projets ?
Les marchés d’actions ont perdu 60 % de leur valeur, bien que la crise ait démarré sur les marchés du crédit. Le risque semble désormais prendre une composante endogène extrême, où le comportement des acteurs sur un marché particulier entraîne, par mise en résonance d’autres marchés, des variations de volatilité hors de proportion avec ce qu’un bilan d’entreprise ou même de banque (ou même d’État dans certains cas) peut supporter. On assiste ainsi à la faillite des modèles fondés sur des corrélations fixes entre les marchés.
Ceci astreint le directeur financier à intégrer une notion de risque systémique qu’il n’avait pas à l’esprit dans le monde d’avant-crise. Une place accrue de l’État ou de structures de mutualisation interentreprises serait-elle alors pertinente ?
Il s’agit donc bien, au sens du dictionnaire, d’un changement de paradigme pour les acteurs financiers. Celui-ci peut conduire les managers à de l’autolimitation et, par conséquent, à un manque ou une trop grande lenteur d’adaptation ; dans l’histoire économique, ce dernier élément est invariant et fatal.
Le mot risque en chinois n’est-il pas composé de deux idéogrammes dont l’un signifie opportunités ?
Contribution originale de la DFCG pour Option Finance (04/09)