L’Union européenne n’est pas à l’origine de la crise, qui se déclenche alors que les déséquilibres financiers mondiaux provoquent l’épisode des subprimes (2007-2008). Mais elle en a démultiplié et prolongé les conséquences par ses défauts de gouvernance.

Inachevée pour des raisons exclusivement politiques, l’Union économique et monétaire a révélé les disparités entre ses membres, l’absence d’outils de garantie et de refinancement, aux premiers rangs desquels un véritable gouvernement capable d’agir et de décider vite en accord avec l’Institut d’émission, de parler aux marchés avec un langage qu’ils comprennent… et qui n’a rien à voir avec le lent et progressif cheminement de l’unification européenne.

 

Des outils financiers de sortie de crise…

Pourtant, les moyens mis en œuvre depuis quatre ans sont considérables et l’on peut dire que jamais l’intégration européenne n’a progressé si vite. Un Fonds monétaire européen (le Mécanisme européen de Stabilité) a vu le jour, une Union budgétaire est en voie de réalisation avec le Fiscal Compact, la Banque centrale européenne s’est officiellement engagée sans limites dans la défense de l’euro, une Union bancaire sera finalisée en 2013. Au total, c’est l’équivalent de plus de deux plans Marshall (2 000 milliards d’euros) que l’Union et ses États membres auront mobilisé face à la crise, si l’on additionne les aides directes aux États en difficulté (400 milliards), les prêts de la BCE (LTRO : 1 000 milliards), le sauvetage des banques par les États membres (1 124 milliards), les plans de relance nationaux et les achats de dettes nationales. L’Union européenne a fait fi de ses règles prudentes – no bail out – et, chaque fois que nécessaire, a trouvé les moyens financiers de faire face à la situation. On pense naturellement à la Grèce.

Des erreurs ont été commises dans ces réponses. Le défaut partiel de la dette grecque n’était assurément pas une bonne idée. Le discours exclusivement punitif et rigoureux des gouvernements et des institutions européennes n’étaient pas véritablement de nature à rassurer les investisseurs en quête de croissance rapide. Mais force est de reconnaître que l’Europe n’a abandonné aucun de ses membres, qu’elle a su inventer les dispositifs nécessaires pour offrir des ressources à ceux d’entre eux qui étaient en difficulté, qu’elle a retrouvé un cap, celui de la réduction de la dette par la maîtrise des budgets, c’est-à-dire la diminution des déficits. Qu’on l’aime ou pas, Keynes est bien mort et ces objectifs sont les conditions de la croissance dans l’économie globalisée.

 

… inutiles sans un appui politique

Pour vraiment comprendre comment elle fonctionne, il faut s’abstraire des simples règles financières et comptables et intégrer dans le raisonnement la dimension politique, voir stratégique. L’intégration européenne est la voie qu’ont choisie librement les États européens et ils n’accepteront aucun retour en arrière. Tous ne sont pas d’accord pour aller si vite de l’avant, mais l’intégration se poursuivra quoiqu’il arrive, à 27, à 17, à moins si nécessaire. Et ceux qui formeront le noyau dur gardent une force de frappe importante, puisqu’ils demeurent, aujourd’hui encore, dans le classement des pays les plus riches du monde. C’est ce qu’ont exprimé les principaux dirigeants européens depuis l’origine et ce n’est que lorsque Mario Draghi l’a repris à son tour à l’été 2012 que les marchés ont commencé à comprendre. Par ailleurs, le fonctionnement européen est organisé pour offrir aux États, qui ne sont généralement d’accord sur rien, un lieu, des procédures, des règles de discussion capables de les rapprocher jusqu’à prendre des décisions communes. Si on oublie ce fait essentiel, on passe son temps à se lamenter sur les divisions européennes et à ausculter les réunions des ministres et des chefs d’État avec les mauvaises lunettes. Il vaut mieux regarder le positif de leurs débats que l’aspect négatif si l’on veut savoir ce qui va se passer. Le Conseil européen de décembre 2012 marque ici une nouvelle étape dans l’amélioration de la gouvernance européenne qui va désormais jusqu’à organiser la supervision des budgets nationaux. Enfin, les considérations stratégiques ne doivent pas être oubliées. Personne en Europe ne peut accepter que la Grèce fasse défaut et devienne un État failli aux portes de l’Union, un « trou noir » aux frontières du continent le plus riche du monde (20 % du PIB mondial), le 1er marché de consommation mondial, la première puissance commerciale qui concentre 40 % du commerce mondial. Et personne ne l’acceptera, quelles que soient les réticences.

Il reste que l’essentiel du travail de réformes à accomplir pour réellement sortir de la crise (marché du travail, dépenses publiques, investissements d’avenir) est du ressort des États membres et non de l’Union européenne. On mesure le poids qui pèse sur les épaules des nouveaux dirigeants français au sortir d’élections une fois encore déconnectées des réalités économiques. La France est désormais scrutée, auscultée, attendue au tournant du courage politique qu’ont su montrer en leur temps Gerhard Schröder et Mario Monti. Lorsqu’elle aura pris ce virage – et elle n’a pas le choix – la sortie de crise, c’est-à-dire le retour d’une croissance acceptable et certaine, pourra être programmée en termes de mois, vraisemblablement une ou deux années.

On peut émettre toutes les conjectures sur ce sujet, mais sans omettre qu’ici la proposition est inversée : les gouvernements peuvent tenter de différer les décisions impopulaires, mais l’économie les rattrape très vite et leurs partenaires européens, désormais irréversiblement liés entre eux, ont intérêt à leur bonne santé. L’Europe joue donc alors comme un rappel à mieux gouverner et l’usage démontre que c’est indispensable…

La gouvernance européenne s’améliore au rythme de l’Europe, c’est-à-dire lent, mais certain et irréversible. La compétitivité se regagne dans les décisions nationales à la mesure des qualités des gouvernants et d’abord de leur courage.

 

Cet article est une reproduction d’une contribution originale pour la revue échanges du mois de mars 2013.