Sur la dépense budgétaire
À l’heure où le gouvernement s’apprête (le 16 avril, sauf imprévu) à dévoiler son plan d’économies budgétaires de 50 M€, Vox-Fi propose à ses lecteurs un extrait du Traité d’économie politique de Jean-Baptiste Say, écrit en 1818. Il détruit le sophisme selon lequel toute dépense publique, dès lors qu’elle signifie des revenus distribués aux agents privés, est positive pour l’économie ; ou à l’inverse, qu’elle est négative. Comme pour les dépenses privées, l’important est la valeur qu’elle crée. Vox-Fi adresse ses remerciements à Jean-Marc Daniel, pour avoir signalé le texte.
On a cru, dans presque tous les temps, que les valeurs payées par la société pour les services publics, lui revenaient sous d’autres formes, et l’on s’est imaginé le prouver lorsqu’on a dit : Ce que le gouvernement ou ses agents reçoivent, ils le restituent en le dépensant. C’est une erreur, et une erreur dont les suites ont été déplorables, en ce qu’elles ont entraîné d’énormes dilapidations commises sans remords. (…)
Toujours un produit consommé est une valeur perdue, quel que soit le consommateur ; et elle est perdue dans compensation par celui qui ne reçoit rien en retour ; mais ici il faut regarder comme un retour l’avantage que le contribuable retire du service de l’homme public, ou de la consommation qui se fait pour l’utilité générale.
Si les dépenses publiques affectent la somme des richesses précisément de la même manière que les dépenses privées, les mêmes principes d’économie doivent présider aux unes et aux autres. Il n’y a pas plus deux sortes d’économie, qu’il n’y a deux sortes de probité, deux sortes de morale. Si un gouvernement comme un particulier font des consommations desquelles il doive résulter une production de valeur supérieure à la valeur consommée, ils exercent une industrie productive ; si la valeur consommée n’a laissé aucun produit, c’est une valeur perdue pour l’un comme pour l’autre, mais qui, en se dissipant, a fort bien pu rendre le service qu’on attendait. Les munitions de guerre et de bouche, le temps et les travaux des fonctionnaires civils et militaires qui ont servi à la défense de l’État, n’existent plus, quoi qu’ayant été parfaitement bien employés, il en est de ces choses comme des denrées et des services qu’une famille a consommés pour son usage. Cet emploi n’a présenté aucun avantage autre que la satisfaction d’un besoin ; mais si le besoin était réel, s’il a été satisfait aux meilleures conditions possibles, cette compensation suffit pour balancer, souvent même avec beaucoup d’avantage, le sacrifice qu’elle a coûté. Si le besoin n’existait pas, la consommation, la dépense, n’ont été qu’un mal sans compensation. Il en est de même des consommations de l’État : consommer pour consommer, dépenser par système, réclamer un service pour l’avantage de lui accorder un salaire, anéantir une chose pour avoir occasion de la payer, est une extravagance de la part d’un gouvernement comme de la part d’un particulier, et n’est pas plus excusable chez celui qui gouverne l’État, que chez le chef de toute autre entreprise. Une gouvernement dissipateur est même bien plus coupable qu’un particulier : celui-ci consomme des produits qui lui appartiennent, tandis que le gouvernement n’est pas propriétaire : il n’est que l’administrateur de la fortune publique.
Que doit-on penser dès lors de plusieurs auteurs qui ont voulu établir que les fortunes particulières et la fortune publique étaient de nature fort différente ; que la fortune d’un particulier grossissait à la vérité par l’épargne, mais que la fortune publique recevait, au contraire, son accroissement de l’augmentation des consommations ; et qui ont tiré de là cette dangereuse et fausse conséquence, que les règles qui servent à l’administration d’une fortune privée, et celles qui doivent diriger l’administration des deniers publics, non seulement diffèrent entre elles mais se trouvent souvent directement opposées.
Madame de Maintenon rapporte, dans une lettre au cardinal de Noailles, qu’un jour, exhortant le roi à faire des aumônes plus considérables, Louis XIV lui répondit : Un roi fait l’aumône en dépensant beaucoup. Mot précieux et terrible, qui montre comment la ruine peut être réduite en principes.
(…) Si les consommations faites par les nations, ou par leurs gouvernements, qui les représentent bien ou mal, occasionnent une perte de valeurs et par conséquent de richesses, elles ne sont justifiables qu’autant qu’il en résulte pour la nation un avantage égal aux sacrifices qu’elles lui coûtent. Toute l’habileté de l’administration consiste donc à comparer perpétuellement et judicieusement l’étendue des sacrifices imposés, avec l’avantage qui doit en revenir à l’État ; et tout sacrifice disproportionné avec cet avantage, je n’hésite pas à le dire, est une sottise ou un crime de l’administration.
Cet article a été publié une première fois sur Vox-Fi le 31 mars 2014.