Sur le contrat de travail « sécurisé »
Un collectif de chefs d’entreprise ou de représentants du patronat, dont P. Gattaz, publie dans le Journal du dimanche du 10 janvier une lettre ouverte à François Hollande qui, parmi d’autres mesures pour créer un « choc d’emploi », appelle à la création d’un contrat de travail dit « agile », ou encore « sécurisé », « prévoyant un plafonnement des indemnités prud’homales lié à l’ancienneté du salarié, et des motifs de rupture liés à la situation de l’entreprise ou la réalisation d’un projet. »
L’idée, assez juste, est que beaucoup d’entreprises, notamment les plus petites, sont réticentes à employer, sachant les incertitudes qui les entourent et la difficulté, en cas d’erreur sur la décision d’embauche, à licencier. Plutôt que d’assouplir les possibilités de licenciement, thème politiquement délicat, pourquoi ne pas créer un contrat de travail où les deux parties mettraient d’entrée les conditions dans lesquelles il pourrait être interrompu, dans le respect bien-sûr des autres conditions légales existantes. Une clause de rupture pourrait être par exemple un chiffre d’affaires futur inférieur à celui escompté.
On ferait ainsi rentrer un type particulier de contrat de travail dans la classe des contrats à clauses contingentes, par exemple un contrat d’intéressement qui permet de déclencher une prime, en général collective, si tel élément financier – censément aléatoire – se réalise ; ou bien une clause de « earn-out », par lequel un vendeur reste intéressé aux résultats futurs de l’entreprise cédée.
Il y a une chose positive dans la proposition, et une négative. Et le négatif me semble l’emporter, tel qu’est formulée la proposition. En positif, il est loin d’être absurde, dans une situation incertaine, de rendre les deux parties d’un contrat intéressées à faire évoluer les choses de la façon la plus favorable à l’issue heureuse. Dans l’exemple du contrat agile, le nouveau salarié a intérêt à ce que sa « mission » réussisse au mieux de sorte que l’embauche soit validée et devienne permanente.
Mais ceci suppose des parties à égalité d’information et à pouvoir de négociation identique. Dans le cas d’un contrat de bonus, d’intéressement ou de earn-out pour une opération de fusion-acquisition, les deux parties sont en principe à égalité. Le cadre d’entreprise connaît de l’intérieur le réalisme de la proposition de bonus ; le vendeur d’une société connaît de l’intérieur le réalisme de la proposition de paiement différé qui lui est faite. Tel manager saura abuser de son pouvoir pour imposer des conditions de bonus irréalisables, mais du moins son subordonné en est conscient, parce qu’il connaît les choses de l’intérieur.
Tel n’est pas le cas pour le chômeur qui postule auprès d’une entreprise. Le contrat a toute chance d’être « potestatif » disent les juristes, c’est-à-dire qu’une des parties a un levier sur le déclenchement de l’élément contingent. Et le chômeur pourra-t-il refuser un emploi, même s’il sait que le jeu est truqué et qu’il n’y a là que le moyen de tourner la législation sur les CDD ou d’éviter le surcout du travail temporaire ?
Ceci pousse à dire que la solution dite « agile » pourrait être testée pour les très petites entreprises, par exemple moins de 5 personnes, là où il y a un lien personnel fort, les clauses de sortie étant contrebalancées par une obligation de formation et un dédommagement financier si l’option de sortie est exercée.
Deux solutions sont préférables. La première, mais qui a peu de chances d’être acceptée par le patronat, consiste à renforcer la main du candidat à l’embauche sous ce « contrat agile ». En clair, que les éléments contingents du contrat aient l’accord des partenaires sociaux dans l’entreprise – ils sont « initiés » et peuvent en apprécier le réalisme – ou, pour les entreprises plus petites encore, de représentants syndicaux externes, capables de se prononcer sur le bien-fondé des clauses introduites, peut-être sous une logique de branche d’activité. Cela aurait la vertu de responsabiliser davantage les partenaires sociaux, pour autant qu’on croit, comme je le fais, que la responsabilité en matière sociale se gagne précisément lorsqu’on se voit accorder davantage de responsabilités.
La seconde est proche du contrat « à protection croissante » prévu dans le Job Act que Matteo Renzi a fait passer en Italie. Il s’agit d’un contrat à durée indéterminée, mais qui facilite les possibilités de licenciement les trois premières années de l’embauche. C’est ce que soutiennent, sous une forme différente et probablement meilleure, un collectif comptant parmi les meilleurs spécialistes français en matière d’économie du travail, dans un appel paru en mars 2015 dans Les Echos, pour un Job Act à la française. L’idée est celle d’un bonus / malus sur les cotisations chômage acquittées par les employeurs selon leur comportement en matière d’embauche et de licenciement. On objective ainsi pour le patron d’entreprise, par un cout pécuniaire connu à l’avance, une déveine en matière conjoncturelle qui l’obligerait à licencier. Ceci fonctionne à condition d’ôter au juge des prud’hommes tout regard sur l’opportunité économique du licenciement autre que la conformité au contrat, le juge étant toujours mal placé pour apprécier la marche interne d’une entreprise.