« Je ne veux pas d’une entreprise qui soit facile pour les concurrents. Je veux une entreprise avec des douves bien remplies autour d’elle. […] Les dirigeants des entreprises que nous détenons, j’ai un message pour eux, qui est d’élargir les douves. » disait Warren Buffett dans sa Lettre aux actionnaires de 2007.

C’est bien ce qu’illustre le graphique de la semaine tiré de l’étude faite par Renjie Bao et ses collègues et publiée par Vox-EU. Plus une entreprise a des marges élevées (des douves larges ?), plus le salaire du dirigeant est élevé. Il s’agit, sur toute la période, des chiffres tirés des cinquante plus grosses entreprises par capitalisation boursière aux États-Unis.

Graphique 1 : Rémunération du dirigeant et marge (*)

(*) par marge, on entend ici le rapport entre la rentabilité effective du capital et sa rentabilité normale, c’est-à-dire le coût du capital. Si l’entreprise a un coût du capital de 8 % et une rentabilité de 12 %, le mark-up, dans le graphique, est 1,5X. C’est un concept proche de l’EVA.

 

Le point est : d’où viennent les marges élevées ? S’il s’agit d’élargir la douve, le dirigeant optimise la valeur pour l’actionnaire, mais ce peut être en construisant une position de monopole, par la concentration, la protection réglementaire ou tout autre moyen. Cela revient largement à un jeu à somme nulle : la valeur acquise par l’entreprise en question est perdue par un autre agent de l’économie, le fournisseur, le client, le salarié ou l’État.

La question intrigante est de savoir si le phénomène est ancien. Dans un article un peu ancien mais important publié dans la Review of Financial Studies, Carola Frydman et Raven Saks regardent la rémunération des CEO sur longue période, en pratique entre 1936 et 2005, sur le même échantillon que pour le graphique précédent. Elles sont restées plates (en dollars constants) jusqu’en gros la fin des années 70 puis ont fortement monté (graphique 2), surtout pour les éléments extra-salariaux, bonus, avantages à long terme et stock-options.

En 2005, elles sont en rémunération brute cinq fois plus élevées qu’elles l’étaient avant 1980. En rémunération nette, c’est-à-dire après fiscalité, vingt à trente fois plus élevées (trait fin du graphique 3). La tendance s’est très probablement poursuivie depuis l’année 2005.

 

Graphique 2 : Rémunération du dirigeant, selon l’année et le mode de rémunération

 

Graphique 3 : Rémunération du dirigeant en brut et après impôts.

 

Le PDG d’antan travaillait-il moins bien, avait-il une conscience professionnelle moindre que celui d’aujourd’hui ? On en doute. On est en fait passé d’un schéma de rémunération où le dirigeant est comme un sorte de haut fonctionnaire, à un schéma où il prend sa place parmi les actionnaires sans en avoir le capital. Il est intéressant de rattacher cette tendance à une autre, démarrée également lors des années 70, par lequel il devenait acquis, dans la culture des affaires, que le pouvoir était celui des actionnaires. Il fallait désormais limiter celui des dirigeants, notamment en empêchant de poursuivre des stratégies ou des investissements dont les fins n’allaient pas dans le sens de la maximisation de la valeur d’entreprise. Et donc perte relative de pouvoir des dirigeants, compensée par une explosion de leurs rémunérations. Comme quoi, le pouvoir a un prix.

 

Frydman, C, and R Saks (2010), “Executive compensation : A new view from a long-term perspective, 1936–2005”, 23: 2099–138.de la

Executive Compensation : A New View from a Long-Term Perspective, 1936–2005

 

 

To construct our dataset, we select the largest fifty publicly traded corporations in 1940, 1960, and 1990. 8

 

 

Warren Buffett in 2007:

I don’t want a business that’s easy for competitors. I want a business with a moat around it. Our managers of the businesses we run, I’ve got one message for them, which is to widen the moat.