Surveillance financière en Europe : réussir la réforme
Alors que les regards sont tournés vers la Grèce, l’Union européenne va affronter dans les prochaines semaines un autre enjeu majeur avec la finalisation des législations issues du rapport Larosière. Elles doivent mettre en place une nouvelle architecture de supervision financière, qui devrait inclure pour la première fois la création d’autorités de surveillance au niveau européen.
Les textes actuellement en discussion au Parlement européen créeraient trois nouvelles agences de l’UE pour superviser respectivement les banques, les assureurs et les marchés, dotées d’un pouvoir formel de décision à la différence des comités qu’elles remplaceraient. En outre, un Conseil européen du risque systémique surveillerait les grands risques financiers et émettrait des recommandations pour y remédier. Ces propositions, initialement formulées dans le rapport d’un groupe de travail dirigé par Jacques de Larosière, ont reçu lors du sommet européen de juin 2009 un soutien politique unanime, malgré l’intensité avec laquelle certains Etats membres – notamment le Royaume-Uni, mais aussi l’Allemagne, l’Espagne et d’autres – avaient résisté à des tentatives similaires dans le passé.
Il était temps : l’UE souhaite créer un marché financier unique, mais la fragmentation de celui-ci est à peu près garantie si la mission indispensable de contrôle public est confiée comme aujourd’hui à vingt-sept autorités nationales différentes qui cherchent à protéger ou à contrôler les acteurs financiers de leur ressort. L’existence d’une surveillance financière au niveau de l’UE est une condition nécessaire, quoique non suffisante, pour l’intégration durable du marché.
Sans surprise, le dispositif proposé est un compromis, avec bien des imperfections. Dans la version adoptée par les États membres en décembre, les pouvoirs des nouvelles autorités sont assez limités. Leur capacité de réglementation est soumise à l’approbation de la Commission. Leur gouvernance est potentiellement dysfonctionnelle, avec des conseils d’administration dans lesquels seuls sont représentés les vingt-sept points de vue nationaux, sans droit de vote pour le président. Une clause de sauvegarde selon laquelle leurs décisions ne doivent pas avoir d’impact budgétaire pour les États pourrait se révéler paralysante. Et la création d’autorités distinctes pour les banques, les assurances et les marchés ignore l’interdépendance croissante entre ces segments.
La discussion tend actuellement à se focaliser sur les pouvoirs conférés aux trois autorités. Dans la version actuelle, elles n’auraient pas la capacité de superviser directement les acteurs financiers, à la seule exception, certes significative, des agences de notation. Certains parlementaires européens souhaiteraient leur donner une compétence directe sur les banques dont l’activité est paneuropéenne, et sur certaines infrastructures de marché. Toutefois, la qualité du processus de décision de ces futures autorités est un aspect au moins aussi important. Si elles démarrent avec un champ de compétences restreint, mais dont elles s’acquittent avec efficacité et compétence, elles gagneront progressivement la confiance et le soutien des différentes parties prenantes, ce qui permettra alors de leur conférer les pouvoirs plus étendus nécessaires pour assurer la viabilité d’un système financier européen intégré. En l’état actuel de l’UE, essayer de réaliser un tel objectif en un seul coup n’est pas politiquement réaliste. La confiance ne pourra se construire que peu à peu.
Dans cette perspective, l’accent devrait être mis sur une meilleure gouvernance des nouvelles autorités, par exemple en ouvrant leurs conseils à des personnalités qui représenteraient l’intérêt européen plutôt que des points de vue nationaux, comme c’est le cas à la Banque centrale européenne, et peut-être aussi en regroupant la représentation des plus petits États afin de réduire la taille de ces conseils, comme au FMI. La proposition de certains parlementaires européens de regrouper les trois entités dans la même ville permettrait aussi une meilleure performance.
A supposer que les conservateurs gagnent l’élection du Royaume-Uni début mai, ceci sera leur premier grand dossier européen, et leur base eurosceptique ne veut pas entendre parler d’une délégation de responsabilité vers l’UE dans un domaine aussi stratégique pour le Royaume-Uni que les services financiers. Si la discussion ne porte que sur le pouvoir des nouvelles agences, la confrontation entre le Parlement européen et le futur gouvernement britannique risque de tourner à l’impasse. S’il s’agit de gouvernance et d’efficacité, un terrain d’entente pourrait en revanche se dégager.
L’Europe n’a pas le droit à l’erreur. Un échec de cette réforme pourrait conduire les marchés à perdre confiance dans la viabilité des banques paneuropéennes et à les encourager à se replier sur leur territoire d’origine. Ceci constituerait potentiellement un plus grand recul pour l’intégration européenne que tout ce qui s’est passé dans la crise jusqu’à présent.