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Vox-Fi : Bonjour Mehdi Coly, comment s’est passée cette première année de Time for the Planet ?

Mehdi : Nous avons réuni à ce jour plus de 20 000 actionnaires et plus de quatre millions d’euros, et le rythme s’accélère chaque mois. Il le faut, parce que notre objectif est ambitieux : lever un milliard pour créer 100 entreprises qui luttent contre le réchauffement climatique.

 

Vox-Fi : Un volet original de votre projet est que vous imposez aux entreprises que vous financez d’être en « open source », en licence gratuite. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Mehdi : Une entreprise en open source indique à chacun, particulier ou entreprise, qu’il peut obtenir une licence gratuite qui lui permettra de copier, utiliser et commercialiser le plus largement possible ses innovations. Notre seul filtre sera une charte éthique, puisqu’un licencié, c’est un partenaire à long terme pour Time. En contrepartie de ce droit, le licencié aura une série de devoirs : l’open source n’est pas la loi de la jungle, c’est un modèle économique avec déjà une longue expérience derrière lui, notamment dans le domaine du logiciel.

 

Vox-Fi : Quels seront les devoirs des licenciés de Time ?

Mehdi : Le licencié devra renvoyer l’ascenseur et partager de la même manière toutes les améliorations et découvertes qu’il fera à partir de l’innovation de départ. L’open source et sa logique du partage doit faire ainsi tâche d’huile.

Il doit nous communiquer chaque année les chiffres permettant de calculer les émissions de CO2 captées ou non-émises grâce à l’innovation : nous valoriserons cette information sous la forme de « dividendes carbone », attribués à chaque année à nos actionnaires.

Et il doit respecter les secteurs pour lesquels la licence est valable.

 

Vox-Fi : Vous voulez vous réserver certains secteurs ?

Mehdi : Non, nous voulons simplement éviter qu’une innovation prévue pour un secteur, par exemple le bâtiment, soit transposée à un autre, par exemple le militaire, qui n’aurait aucun sens contre le changement climatique. Mais si cela fait sens, nous complèterons la liste des secteurs de la licence.

 

Vox-Fi : Quel est l’avantage de l’open source pour Time for the Planet ?

Mehdi : L’open source réduit nos risques d’exécution et démultiplie notre impact carbone.

Les risques d’exécution sont réduits, puisque même si nous nous donnons toutes les chances de réussir chacun de nos projets, l’entreprise n’est pas une science exacte et on peut rater le développement d’une bonne innovation. Avec l’open source, le relai est assuré et l’impact carbone positif : notre premier objectif, sera quand même au rendez-vous.

Et on récupère un gros effet de levier. La neutralité carbone en 2050 impose d’aller vite : une innovation efficace doit absolument diffuser à toute la planète. On va infiniment plus vite si l’on n’est pas obligé de construire chaque usine, de s’adapter à chaque réglementation nationale ou à chaque habitude locale.

 

Vox-Fi : Est-ce qu’une entreprise en open source ne renonce pas à gagner de l’argent ? 

Mehdi : Non, pas du tout : les entreprises que nous allons créer, les premières le seront à la prochaine assemblée générale, sont sélectionnées sur leur impact carbone mais elles fonctionneront comme des entreprises classiques et devront dégager de l’argent : nous en aurons besoin pour l’investir dans d’autres projets, d’autres entreprises. Time sera au départ l’actionnaire majoritaire et l’argent remontera sous forme de dividendes, ou de plus-values, lorsque l’entreprise aura trouvé son équilibre et que nous abandonnerons la majorité. Nous abandonnerons la majorité, mais nous garderons une golden share qui garantira que l’entreprise conserve une politique d’open source.

 

Vox-Fi : Quel sera l’avantage de l’open source pour la filiale de Time ?

Mehdi : Nos entreprises seront des créations, et donc toujours au départ jeunes et petites. L’open source leur crée d’emblée un noyau de partenaires potentiels, notamment de grandes entreprises. Elles n’aiment pas beaucoup travailler avec de petites entreprises innovantes indépendantes : elles craignent d’être prisonnières de leur innovation, soit que la jeune pousse se casse la figure et que son savoir-faire disparaisse avec elle, soit qu’elle marche trop bien et devienne leur concurrente : l’open source les rassure des deux points de vue, et les aide à sauter le pas sur la nouvelle technologie sans avoir besoin de racheter la société.

 

Vox-Fi : Mais est-ce que cela apporte du chiffre d’affaire ?

Mehdi : Oui, à condition que cela soit intégré dès l’origine au modèle d’entreprise. J’encourage chacun des lecteurs de Vox-Fi à nous rejoindre comme investisseur, mais également comme évaluateurs de projets : ils verront que l’un des critères pris en compte est la compatibilité de l’innovation avec l’open source. Nous voulons des modèles d’entreprise capables de susciter la création de nombreuses autres entreprises basées sur l’innovation apportée, et capables ainsi de gagner de l’agent sans privatiser l’innovation.

 

Vox-Fi : Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Mehdi : Chaque cas est un cas particulier, bien sûr, mais disons qu’il faut identifier des « effets réseau », c’est-à-dire un service mutualisé que la société va pouvoir proposer à tous les licenciés, ou aux clients de ces licenciés, et dans lequel elle va se créer progressivement un savoir-faire.

Cela peut être très simple, comme vendre un accompagnement à la mise en œuvre de son innovation, de la formation, de la maintenance… Des services qui peuvent se renforcer par un label qui garantit que la mise en œuvre de la technologie est correcte. Dans le monde B2B, la société peut faire payer la mutualisation des remontées d’innovation de la communauté des utilisateurs. Elle peut agir au second niveau : ouvrir aux licenciés à la fois la technologie et un service aux clients intéressés par ce qu’ils produiront avec cette technologie. Elle peut au contraire agir en amont, en produisant une matière première utile à tous les licenciés. En informatique, ce sera une application mise à disposition gratuitement, et qui permet de créer de nouveaux services sur lesquels on peut se rémunérer.

 

Vox-Fi : Comme l’écosystème Androïd par exemple ?

Mehdi : Exactement. Le défi du carbone va se prêter particulièrement bien à cette logique, parce qu’il va falloir aider très vite et dans le monde entier à la rencontre entre ceux qui ont besoin de réduire le CO2 qu’ils provoquent, et ceux qui ont des idées pour y parvenir, en valorisant les différents mécanismes financiers de valorisation du CO2 qui sont en train de se mettre en place.

 

Vox-Fi : Mais tous les secteurs ne se prêtent pas à la coopération ?

Mehdi : C’est vrai, mais même en concurrence pure, une entreprise nouvelle peut avoir intérêt à l’open source pour développer un nouveau marché sur lequel elle sera la meilleure, par sa communication ou un produit plus abouti. Le succès de Tesla a aidé tous les constructeurs électriques ; et Tesla partage certaines technologies pour accélérer par exemple la constitution de réseau de recharge.

On peut d’ailleurs imaginer des stratégies mixtes, combinant la stratégie du leader et celle de la coopération en fonction du segment de clientèle, notamment géographique, comme je le disais tout à l’heure, mais pas seulement.

 

Vox-Fi : Alors, c’est la fin des brevets payants ?

Mehdi : Ils sont un outil moins convaincant face aux grands défis collectifs, un débat s’est d’ailleurs ouvert sur les vaccins. Nous pensons que face à l’urgence climatique, il faut changer de braquet, et la licence gratuite peut faire la différence.