Dans ses vœux aux Français pour l’année 2012, le président de la République a annoncé la mise en place d’une taxe sur les transactions financières dont les contours rappellent la taxe Tobin dont il convient de rappeler le concept avant de commenter les impacts possibles et quelques enjeux actuels.

La taxe Tobin a pour idée génératrice de stabiliser les marchés (1) en augmentant très légèrement les coûts de transaction, ce qui est censé réduire leur volatilité. De la même façon que des stabilisateurs d’amplitude ont dû être installés sur le pont du Millennium à Londres afin d’éviter une mise en résonnance du pont, c’est-à-dire la conjonction entre les fréquences des mouvements des piétons avec la fréquence propre de l’ouvrage d’art (2).

Avec cette analogie en tête, il n’est pas interdit d’étudier parallèlement les mouvements sinusoîdaux physiques et financiers. Néanmoins, le diable se cache dans le détail et trois points majeurs propres à la finance doivent être avancés.

La taxe Tobin a été proposée sur le marché des changes en 1972, époque où ce marché était le plus important marché financier. Depuis, les choses ont fabuleusement évolué et il serait déraisonnable, sauf à recréer une étanchéité entre marchés ou à assumer l’apparition d’arbitrages « fiscaux » et réglementaires entre marchés de ne pas étendre la taxe Tobin à tous les marchés financiers. Mais là aussi avec les marchés de gré à gré, les dark pools, etc. il sera difficile de « n’oublier » personne ; mais admettons, l’intendance peut suivre…

La taxe Tobin avait, dans l’esprit de son concepteur, pour ambition de stabiliser les marchés. Force est de craindre, cette taxe réduisant la liquidité d’un marché, un accroissement de la volatilité sauf si le marché concerné est « infiniment » liquide. Ce qui n’est le cas que lors de crises au cours desquelles la ressource financière devient abondante voire illimitée grâce aux interventions des banques centrales. De plus, « dans la vraie vie », on note que l’importance de la liquidité d’un marché varie terriblement en fonction des événements. Elle a la fâcheuse habitude de disparaître quand on en a le plus besoin : dans les moments de marasme ! Ce phénomène ne changerait pas avec l’application de la taxe.

Dans un environnement classique le point technique financier qui compte est celui de savoir si une taxe Tobin pourrait éviter un comportement grégaire des opérateurs tel qu’une panique par exemple sans l’intervention des prêteurs de dernier ressort.

La réponse à cette question est abondamment commentée. L’étude des comportements des acteurs financiers depuis quatre ans, semble montrer que cet effet bénéfique existe jusqu’à un point d’anxiété élevé à partir duquel une taxe à valeur proportionnelle constante devient inefficace. C’est-à-dire que plus l’angoisse croît, plus le comportement des acteurs devient indifférent à une taxe à taux constant.

Qu’en est-il en ce début d’année ? Le projet de directive sur taxe sur les transactions financières semble éloigné de la taxe Tobin – et ce n’est pas un drame en soi mais un simple constat – même si la forme y ressemble : fixer des taux d’imposition minimaux sur une assiette large.

La Commission a pris le parti de privilégier les éléments « éthiques » de la taxe par rapport au caractère stabilisateur retenu par James Tobin.

Tous les États membres seraient tenus de respecter les règles de l’Union européenne (UE) et d’appliquer un niveau minimum de taxation. Les taux proposés pour les deux catégories de transactions visées sont très bas : 0,01 % pour les transactions sur les produits dérivés et 0,1 % pour les autres transactions financières imposables. La taxe frapperait les deux parties à la transaction et concernerait tous les établissements financiers établis dans l’UE. La directive couvrirait tous les établissements financiers établis dans l’UE, comme les banques, les entreprises d’investissement, les compagnies d’assurance, les fonds de placement spéculatifs, mais aussi les services financiers des grandes entreprises (3) ; la plupart des instruments financiers (actions, obligations, etc.) et des transactions basées sur ces instruments (les produits dérivés, comme les options et les swaps).

Quels seraient les bénéficiaires apparemment et immédiats de cette taxe selon la Commission ? La collectivité car une contribution des banques compenserait certains coûts générés par la crise. Et un système financier plus stable contribuerait à la stabilité économique générale. Une fiscalité mieux harmonisée dans l’UE profiterait aux organisations et aux particuliers réalisant des transactions financières. Cela pourrait nécessiter l’adaptation ou la suppression de certaines taxes nationales sur les transactions financières (4). Les administrations : les nouvelles recettes, estimées à 50 milliards d’euros par an dans toute l’UE, alimenteraient les finances publiques et pourraient remplacer une partie des contributions des États membres au budget de l’UE.

La réalité peut être nuancée. Le taux de rotation des portefeuilles sous gestion détenus pas des Européens est proche de 3. C’est-à-dire que les gérants procèdent à 6 transactions par an (3 achats et 3 ventes) Ce chiffre multiplié par le taux de taxe de 0,1 % impacte les résultats de 0,6 %, chiffre qui, rapproché du rendement des gestions monétaires et des actifs des fonds d’assurance-vie en euros (2,5-3 %) réduit de 20 % la performance de ces portefeuilles.

[quote type= »center »]Si d’aventure cette taxe était européenne au sens large, la Place de Londres en serait-elle la principale bénéficiaire.[/quote]

Les entreprises émettrices d’actions et d’obligations en Europe seraient pénalisées par rapport à leurs homologues américains et asiatiques puisqu’elles devraient proposer un rendement intégrant cette nouvelle fiscalité, ce qui n’est pas nécessairement pertinent lorsque la réindustrialisation de la France est, à raison, perçue comme une nécessité vitale. Si d’aventure cette taxe était européenne au sens large, la Place de Londres en serait-elle la principale bénéficiaire. Certes, il ne s’agit pas de raisonner en apothicaire… mais tout de même ! Cette taxe serait redistribuée eu budget européen, à chaque pays d’implantation des contreparties ou celui de leur siège social ?

Le pari de savoir si David Cameron – en porte-parole de la City – acceptera de voter cette directive, n’est pas risqué ! Chacun comprend, alors, que cette directive ne sera efficace que si elle s’applique, au moins, aux 17 pays de la zone Euro… et la volonté politique permet d’estimer raisonnables les chances que cela se produise. Mais il s’agirait d’une illusion d’optique. Depuis 2008, les banques du Sud de l’Europe, n’ont presque plus d’activités locales de banque d’investissement. Les institutions financières hollandaises sont encore en réanimation ou en voie d’extinction. Les Allemands alors ? La Place de Francfort est puissante, sa Bourse est la deuxième au monde. Alors ? Seuls 300 opérateurs de Deutsche Bank restent basés en Allemagne. Les transactions et la gestion pour compte de tiers réalisées sur la Deutsche Börse le sont principalement à Londres. En pratique, à propos de cette directive, la zone Euro se réduit… à la France ! Le soutien « à titre personnel » de la Chancelière au Président de la République française n’est pas engageant, mais il est le signe d’une bonne entente entre les deux responsables politiques de même que le placet délivré par le Premier ministre espagnol.

C’est pourquoi, la position française a évolué depuis le 31 décembre 2011 : seules seraient taxées les opérations sur les actions et leurs dérivés… seuls instruments et produits financiers pour lesquels la France possède un réel savoir-faire local. Mais même a minima, cette taxe imposée en France uniquement ferait courir à l’industrie française de la gestion d’actifs un risque élevé de délocalisation ou/et d’attrition en France.

À ce titre, dans ces vœux, le Gouverneur de la Banque de France a indiqué que « Paris a des domaines d’excellence qui n’ont rien à envier à Londres et à Francfort. C’est le cas en particulier de notre marché et des activités associées. Il faut espérer qu’une éventuelle taxe sur les transactions financières n’affectera pas cette excellence. Deux éléments me paraissent essentiels à cet égard : d’abord la réflexion doit être européenne, deuxièmement le projet actuel de la Commission soulève de très nombreux problèmes qui méritent un examen approfondi.

Sans l’approbation du Royaume-Uni, cette directive pourrait s’avérer un coup de feu dans un pied français avec un résultat assez éloigné des principes et profits évoqués par la Commission auxquels tout citoyen européen souscrit. L’instauration d’une taxe sur les transactions financières réduites géographiquement à la France, même si cette approche exemplaire doit être saluée, représente un risque majeur pour le financement et la souveraineté économique du pays alors que d’autres « combats » européens doivent être livrés et gagnés. Mais la politique intérieure a des raisons que la raison ignore !

 

(1) Le terme de taxe est donc impropre puisque ce prélèvement n’a pas de finalité fiscale. Néanmoins, quand cette taxe verra le jour, il conviendra d’avoir décidé l’affectation de son produit.
(2) Le Pont du Millenium est un pont suspendu situé à Londres au Royaume-Uni. Il s’agit d’une passerelle en acier réservée aux piétons enjambant la Tamise pour relier le quartier de Southwark sur la rive gauche à la City de l’autre côté. Ce pont a dû être fermé au public deux jours après son inauguration, en raison d’un phénomène de résonance, le pont oscillant latéralement de façon imprévue à une fréquence croissante se rapprochant de la fréquence propre de résonance du pont. La résonance est un phénomène selon lequel certains systèmes physiques (électriques, mécaniques…) sont sensibles à certaines fréquences. Un système résonant peut accumuler une énergie, si celle-ci est appliquée sous forme périodique, et proche d’une fréquence dite « fréquence de résonance » ou « fréquence naturelle » Soumis à une telle excitation, le système va être le siège d’oscillations de plus en plus importantes, jusqu’à atteindre un régime d’équilibre qui dépend des éléments dissipatifs du système, ou bien jusqu’à une rupture d’un composant du système.
(3) En seraient exclus :

  • l’essentiel des activités financières quotidiennes réalisées par les particuliers et les entreprises (contrats d’assurance, prêts immobiliers, prêts à la consommation, prêts aux entreprises, services de paiement, etc.) ;
  • les premières émissions d’actions et d’obligations par des entreprises ou des organismes publics (mais pas la revente).

(4) Le stamp duty anglais par exemple s’applique aux transactions sur actions réalisées par des personnes physiques résidentes britanniques et rapporte au Trésor britannique une somme approchant les trois milliards de livres sterling.