Le pacte de responsabilité, voté avec le budget rectificatif 2014, avait au départ un objectif simple : réduire le coût du travail, notamment par la révision du barème des allègements de charges existants jusqu’à 1,6 fois le smic. Cette réduction des cotisations patronales, dite « réduction Fillon »,  est égale à la rémunération annuelle brute versée à chaque salarié concerné multipliée par un coefficient déterminé par une formule particulièrement absconse (se reporter au site de l’Urssaf !) que peu d’entreprises maîtrisent actuellement. Les personnes qui pondent des  textes aussi ubuesques devraient faire un stage au sein d’un service paie d’une PME. Elles n’imaginent certainement pas le travail que la mise en œuvre de tels textes demande dans chaque entreprise, sans parler des risques d’erreurs et de redressements ultérieurs.  Les éditeurs de logiciels spécialisés s’y perdent eux-mêmes …

Pour éclairer cette usine à gaz, il ressort de la formule Urssaf que plus la rémunération annuelle du salarié augmente, plus le montant de la réduction diminue (même philosophie que l’allègement Fillon) jusqu’à atteindre zéro au delà du seuil de rémunération égal à 1,6 smic, réduisant ainsi la portée de l’effet cliquet lorsque la rémunération du salarié passe au dessus du plafond. Si le montant de la réduction est supérieure à la valeur des cotisations patronales de sécurité sociale (maladie, maternité, invalidité, décès, allocations familiales), la réduction s’impute  sur la cotisation au fonds national d’aide au logement, puis sur la contribution solidarité autonomie, puis sur la cotisation accident du travail maladie professionnelle, cette dernière imputation étant toutefois limitée à un taux fixé par arrêté ministériel.

Sont exclues de la rémunération servant de base au fameux calcul du coefficient de réduction Fillon la contrepartie des temps de pause, d’habillage et de déshabillage, sans compter les particularités s’appliquant aux travailleurs à temps partiel, à ceux bénéficiant d’heures supplémentaires et à ceux ayant plusieurs employeurs.  La formule a en effet été complexifiée par rapport à celle de l’allègement Fillon, notamment pour réduire l’optimisation de la part des entreprises … Et comme cela ne tourne pas assez au cauchemar, la réduction est calculée par anticipation chaque mois, pour donner ensuite lieu soit à une régularisation progressive au mois le mois, soit à une régularisation en fin d’année.

N’aurait-il pas été plus facile pour les entreprises  de prévoir le même taux de réduction de cotisations patronales pour tous les salaires inférieurs à 1,6 smic et d’appliquer globalement ce taux à la somme des rémunérations annuelles des salariés concernés ? Mais c’eut été probablement trop simple, voire simpliste,  pour des administrations qui préfèrent complexifier le système d’allègements de charges à chaque nouvelle réforme, avec une sédimentation de plus en plus incompréhensible,  plutôt que de remettre à plat les système en oubliant les articulations avec l’existant et en  transformant tous ces dispositifs en un  dispositif unique.

Idem pour le CICE et pour les autres dispositifs d’allègement pour lesquels  les entreprises doivent faire leurs calculs sur des données individuelles, avec des seuils distincts  (1,6 smic pour la réduction dite Fillon, 2,5 smic pour le CICE et 3,5 smic pour le nouvel abaissement de charges prévu pour 2016), sans aucune logique évidente. La multiplication des dispositifs ne facilite pas non plus la lisibilité pour les employeurs qui ne s’y retrouvent dans ces différentes mesures et ne comprennent pas la cohérence d’ensemble du pacte de responsabilité. Messieurs Balladur, Juppé, Jospin, Fillon, Ayrault n’ont cessé de diminuer les cotisations patronales sur les bas salaires, générant ainsi des trappes à bas salaires, les entreprises n’ayant pas intérêt à faire évoluer leurs salariés peu qualifiés pour ne pas dépasser le plafond des allègements de charges.

Cette reproduction des errements passés (les Premiers ministres changent mais les administrations qui préparent les textes restent les mêmes) s’identifient de surcroît à un défaut de conception. La juxtaposition de tous ces allègements profite surtout  aux secteurs protégés de la concurrence internationale (grande distribution, services aux entreprises et aux particuliers, hôtels et restaurants notamment). Le CICE et la réduction Fillon ciblent plus la création d’emplois peu qualifiés que le renforcement de la compétitivité de notre outil de production. Selon le premier rapport du comité de suivi du CICE, les entreprises qui n’exportent pas ou très peu captent 73% des gains de coûts salariaux. Il aurait été là aussi préférable de prévoir, à montant budgétaire identique, une réduction proportionnelle de tous les salaires inférieurs à 3,5 smic, seuil préconisé par le rapport de Louis Gallois sur la compétitivité.

Les mêmes observations s’appliquent aux mesures prises  pour compenser la pénibilité au travail, avec une prise en compte  des facteurs de pénibilité, également salarié par salarié. Il aurait pourtant été moins coûteux  pour notre industrie  de dresser une liste des professions considérées comme pénibles. Les risques de contentieux auraient été également moins importants. Les systèmes de retraite de nos compétiteurs européens les plus avancés en matière sociale prennent en considération la pénibilité, mais le plus souvent de façon collective, par métiers et par branches, avec des régimes spéciaux à l’échelle d’une profession. Nous sommes bien loin de l’amélioration de la compétitivité de notre industrie  et du choc de simplification pourtant sincèrement souhaités par nos dirigeants politiques !