Transformer l’Etat, c’est possible : la méthode existe mais est exigeante
La réforme de l’État est un serpent de mer. Les États généraux de la Justice en constituent une nouvelle tentative, après les lois de programme qui se sont succédé au fil de chacun des quinquennats. Bien que le budget ait été augmenté de 30 % en cinq ans, cela n’a pas eu d’effet sur la durée des procédures qui s’allonge régulièrement. Pourtant il y a eu des périodes au cours desquelles l’État a su se transformer avec une méthode dont il serait possible de s’inspirer aujourd’hui.
Le fonctionnement des services de l’État fait l’objet de critiques toujours plus vives au fil du temps. Des remèdes ont pourtant été essayés depuis 1995 : création d’un Commissariat à la réforme de l’État, mise en place d’une procédure de Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), création d’un portefeuille ministériel. Aucun progrès significatif n’a été obtenu si l’on considère en particulier les trois domaines que sont la Justice, l’Éducation, la Santé.
Pour ces activités, depuis 2001, le budget de l’État est censé être passé d’une logique de moyens à une logique de résultats, mais dans les faits il n’en est rien. Les priorités restent centrées sur les enveloppes budgétaires et les effectifs. Ces derniers en particulier sont, soit en augmentation quand on crie au manque de moyens, soit en réduction : quand le gouvernement du moment recherche des efforts ciblés’’.
Ne jamais commencer par la question des effectifs
Aucune entreprise malade ne pourrait se rétablir avec ces méthodes. Parler d’effectifs, à la hausse ou à la baisse, sans avoir rétabli l’efficacité des processus est contreproductif. Dans un service mal organisé, plus il y a de monde, moins c’est efficace et promettre des recrutements empêche de rechercher des améliorations. A l’inverse, envisager une réduction inquiète les personnels. Il faut d’abord remettre l’entreprise sous contrôle, revalider les objectifs de chacun, vérifier leur cohérence, revoir les processus de gestion, souvent améliorer le système d’information. C’est seulement lorsque cette étape de réorganisation a été franchie, qu’il devient efficace d’ajuster les effectifs aux besoins identifiés dans chaque service.
La réorganisation doit en outre avoir été soigneusement et minutieusement préparée. Il a fallu juger, par un état des lieux, des forces et faiblesses de l’entreprise avant d’établir le plan d’action. Il a fallu aussi convaincre les représentants du personnel et les collaborateurs afin d’obtenir le consensus qui assurera les meilleures chances de succès à la mise en œuvre du plan.
Une concertation encadrée
La méthode, fondée sur les deux piliers que sont l’état des lieux et la concertation, s’adapte d’autant plus aux administrations civiles qu’elle a déjà été utilisé dans le passé pour la planification de l’État.
C’était dans les années 60. Créé par le Général de Gaulle, le Commissariat au plan avait pour objectif d’élaborer un plan quinquennal fixant les principales priorités nationales en matière d’investissement. En partant des prévisions économiques et financières élaborées par l’administration, les objectifs étaient définis par des commissions intégrant des représentants de toutes les parties prenantes concernées : syndicats patronaux et de salariés, associations d’usagers, élus locaux, etc… Sans que ces représentants soient formellement engagés par le résultat final, cela permettait d’aboutir à un consensus entre les participants, ‘’encadré’’ par le respect de l’équilibre financier des prévisions économiques.
Avec la fin des trente glorieuses, les prévisions du plan perdirent de leur pertinence et le Commissariat au plan tomba en désuétude. Il ne s’agit pas ici de prôner le retour d’une anachronique planification économique, mais de s’inspirer d’une méthode de travail adapté à une autre problématique de transformation : la concertation « encadrée » par un état des lieux et un cadre financier.
Le diable est dans les détails
Établissons, pour chaque administration, un état des forces et les faiblesses de son organisation, de ses processus de gestion et systèmes d’information. Ce constat sera fondé sur les données et documentations disponibles, ainsi que sur l’interview d’un certain nombre de collaborateurs à tous les niveaux de la hiérarchie.
La concertation entre les parties prenantes pourra ensuite débuter avec les représentants des personnels et les utilisateurs. L’intervention de ces derniers est particulièrement nécessaire dans une situation où les clients/administrés n’ont pas la possibilité de « voter avec leurs pieds », comme c’est le cas pour une entreprise privée. Il faudra donc s’accorder sur la nature, le volume et la qualité des services qui doivent être rendus, et donc sur les objectifs à atteindre.
Il restera enfin à détailler le chemin à parcourir avec les changements à opérer, le cadre financier, le calendrier et les objectifs intermédiaires. Le plan de transformation aura ainsi été construit en recherchant ce consensus « encadré » qui aura impliqué toutes les parties prenantes en lui donnant les meilleures chances de succès.
La réforme de l’État n’est ni de droite, ni de gauche. Il s’agit simplement d’efficience, donc de méthode et de savoir-faire. Une petite équipe pourrait, sous l’autorité du Premier Ministre, réaliser les états des lieux dans chacune des administrations concernées, et animer la « concertation encadrée ». La construction de ces plans de transformation demande en effet de travailler dans la durée et d’accumuler les informations et le savoir-faire.
Cet article a été publié sur Vox-Fi le 18 novembre 2021.