La foi en la discipline de marché a volé en éclats avec la crise financière. Ce billet défend l’idée que la défaillance de la discipline de marché a différentes racines. Il met le doigt sur le manque de transparence précisément au moment où on en a le  plus besoin. Pour corriger cela, il ne suffit pas d’accroître la fourniture et la divulgation de l’information. Parce que la transparence dépend avant tout de la façon dont cette information est interprétée et utilisée.

(Note du traducteur : on traduit ci-après disclosure par divulgation, bien que le terme anglais ait largement cours auprès du public financier français. C’est une des tâches du Blog d’aider à bâtir les bons vocables français dans le domaine de la finance. On pourrait tenter le néologisme « rendu-public », mais restons-en à « divulgation ».)

Pendant la crise financière de 2007-09, des actifs très liquides et très bien notés sont tout à coup devenus des « actifs toxiques » ; les notations des produits structurés ont été continuellement dégradées ; plusieurs marchés se sont disloqués, par exemple le marché interbancaire ; et les banques ont connu de sérieux problèmes de financement et de liquidité (voir à ce sujet Wyplosz 2007). L’opacité des produits structurés, qui ne posait aucun problème lors du boom, est devenueun obstacle majeur lors de la crise : on ne faisait plus confiance aux notations d’agence en tant que fournisseurs fiables d’information sur les risques de défaut. Les investisseurs se sont mis à regarder avec suspicion les pertes comptables telles que rapportées par les banques. Si la décision de relâcher les règles comptables en réponse aux pressions du public et des politiques a été bien accueillie par les banques, elle en a rajouté à la méfiance de beaucoup d’investisseurs qui l’ont perçue comme une tentative de restreindre la qualité de l’information.

Le vécu de la crise a changé la vision que les élaborateurs de comptes, les universitaires et les régulateurs ont du rôle de l’information, de la transparence et de la discipline de marché. Des questions importantes sont posées sur la façon d’améliorer la transparence, tant pour la réflexion académique que pour l’action politique.

Suite aux recommandations générales du G20 faites aux autorités de régulation, la réaction immédiate a été d’exiger un meilleur accès à l’information pour les intervenants de marché. Bien que cette exigence semble découler naturellement de la théorie microéconomique de base sur l’allocation efficace des ressources, la transmission de l’information est un processus plus complexe, sujet à des phénomènes d’asymétrie, d’aléa moral et d’incitations perverses. Dans une recherche récente (Freixas and Laux 2012, mise en pièce jointe à la suite de ce présent billet), nous en discutons les implications pour deux sources importantes d’information, les rapports financiers et les agences de notation.

L’un des points mis en évidence est l’importance qu’il y a à distinguer transparence et divulgation (disclosure) d’information. Nous interprétons la divulgation comme de la simple fourniture d’information, tandis que la transparence requiert que cette information atteigne effectivement le marché et qu’elle soit correctement interprétée et utilisée. Ces deux aspects de la communication sont bien sûr liés. Mais la distinction est utile quand on discute de réglementation, parce que les régulateurs sont enclins à penser que la divulgation suffit à assurer la transparence et qu’ils restent très silencieux sur la façon dont ils voient s’exercer concrètement la discipline de marché.

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Or, la foi dans la discipline de marché a été durement affectée par la crise financière. Avec le recul, on est forcé de reconnaître qu’elle n’avait pas joué pendant la phase de boom et qu’elle l’a fait sous la forme d’une panique indiscriminée pendant la crise. Cet état de fait a plusieurs causes. Pendant le boom, il y a eu probablement un manque d’incitation chez les intervenants de marché à utiliser et à demander de l’information. Lors de la chute, le principal problème a été la difficulté à être transparent au moment où on en a le plus besoin.

Passer de la divulgation à la transparence rencontre de nombreux obstacles.

  • Un premier vient de l’intervention même de la puissance publique et de la réglementation. Par exemple, en raison des renflouements par l’État et d’une réglementation s’appuyant sur les notes d’agence, l’incitation qu’ont les investisseurs à demander, à utiliser et à critiquer certaines informations est limitée. Pour améliorer la transparence, ce point doit être bien compris.
  • Un second obstacle tient au coût de traitement de l’information, et en particulier de la fourniture d’une information fiable pour l’émetteur et de la collecte et de l’interprétation du côté de l’investisseur. Il y a plusieurs sujets là derrière : quel type d’information doit-on divulguer ? Comment les investisseurs vont-ils réagir à ces annonces ? Quelles en sont les conséquences pour l’efficience du marché ? Ces questions posent un défi aux régulateurs parce qu’ils impliquent des arbitrages complexes. Un exemple est la classique « malédiction du gagnant » [le fait pour celui qui l’emporte dans une enchère de réaliser, à sa consternation, que le second mieux disant a offert beaucoup moins que lui, NDLR], dans laquelle une information meilleure ne peut être comprise et traitée que par des intervenants sophistiqués. Quand c’est le cas, il n’est plus  évident qu’une meilleure information accroisse l’efficience du marché, parce que cela peut entraîner une moindre liquidité du marché, chaque intervenant initié ayant alors les moyens de taxer les intervenants non initiés sur chaque transaction qu’ils effectuent. Un autre exemple est la possible sur-réaction du marché. Doit-on cacher l’information pour éviter une sur-réaction ou au contraire la cacher pourrait-il créer une sur-réaction plus forte encore ? Si les régulateurs ont les moyens de demander davantage de divulgation, ils ne peuvent à l’inverse la limiter et empêcher que les investisseurs aient accès à leurs sources habituelles d’information.

Références :

 

Cet article est une reproduction d’une contribution originale pour Vox-Eu, avec l’autorisation de l’éditeur.