Le graphique de la semaine est tiré d’un rapport, maintenant un peu ancien (2014) publié par l’ESMA (l’équivalent de l’AMF au niveau de l’UE) faisant une synthèse sur le trading à haute fréquence (THF). On peut le lire ici. Le THF, c’est cette technique de négociation de titres financiers reposant sur des interactions directes entre ordinateurs, sur des algorithmes évolués et sur le matériel le plus sophistiqué qui soit en matière d’échange électronique. Un des enjeux des acteurs du THF, c’est de capter la dernière milliseconde, que dis-je, microseconde, nanoseconde, picoseconde… pour faire la transaction avant le concurrent. Et ça coûte très cher en personnel et matériel informatique. Certains s’interrogent sur les risques systémiques que font porter ces acteurs sur le fonctionnement des marchés financiers, mais ce n’est pas le sujet de ce « graphique de la semaine ». Pour plus de détails sur le THF, un bon résumé figure sous la plume de Yann Le Fur dans la Lettre de Vernimmen et disponible ici sur Vox-Fi.

Le graphique montre qu’en termes de nombre de transactions, les acteurs du THF font désormais plus de la moitié des ordres de transaction (58%), beaucoup plus que les banques d’investissement. Ces dernières gardent cependant l’avantage en termes de nombre de transactions effectivement réalisées et surtout de volume négocié. (Il serait bon d’actualiser le graphique à date.)

trading activity by type of market participant

Mais ce que le graphique ne dit pas, c’est que tous les intervenants sur les marchés financiers, à commencer par les grandes banques, n’attendent pas d’être tondus comme les moutons par les acteurs du THF. Elles se mettent aussi à ces techniques et elles se sont lancées à marche forcée dans une vague d’investissement considérable en moyens humains, logiciels et matériels informatiques. Spécialiste du codage informatique, spécialiste de gestion de réseau : courrez vers les banques d’investissement, notamment françaises ! Votre CV est le bienvenu.

Tout ça pour quoi ? Pour garder la nanoseconde. Mais c’est bien-sûr un jeu à somme nulle, puisque le voisin se lance immédiatement dans un nouvel investissement pour grappiller à son tour la dernière nanoseconde. C’est même un jeu à somme fortement négative, dit avec sagesse Jean Tirole, récent prix Nobel d’économie, en page 412 de l’important livre qu’il vient de faire paraître à destination d’un large public (« Économie du bien commun », PUF, 2016) et dont Vox-Fi recommande la lecture toute affaire cessante (hum ! il faut un long break pour ça !). Si un régulateur imposait un délai de latence, disons 1/100ème de seconde, avant le passage de tout ordre, ni la concurrence, ni la fluidité du marché n’en serait affectée et on éviterait la gabegie informatique actuelle.

Il y a donc une vaste destruction de valeur sociale dans cette course à l’échalote. Voici un nouveau cas de marché défaillant. Et à nouveau dans la banque d’investissement. La dernière fois, c’était quand des milliers de jeunes professionnels formés aux meilleures écoles, au terme d’études d’ingénieur très coûteuse pour la société, se sont rués dans les salles de trading ou dans les départements d’ingénierie financière des grandes banques. Il y a eu sans doute une valeur ajoutée à cela – et probablement quelques excès aussi ! – de même qu’il y a sans doute une valeur ajoutée à automatiser les transactions boursières, notamment en réduisant le nombre et les salaires des traders classiques. Mais il y a à coup sûr excès d’investissement et donc gaspillage d’une ressource (les informaticiens de bon niveau) très rare dans l’économie et qui serait déployée à meilleur usage ailleurs. Et ce jeu n’est possible que parce que le secteur financier reste riche, capable de payer des salaires hors normes et donc d’attirer les talents. Le talent est rare, c’est d’ailleurs ce qui explique que la furie d’embauche fait monter les salaires, et à ce jeu le secteur financier prend la part du lion.

 

Article déjà publié sur Vox-Fi le 18 mai 2016.