La politique financière d’une entreprise doit tenir compte :

  • de l’environnement macroéconomique ;
  • de la stratégie générale de l’entreprise ;
  • et de l’actionnariat.

SEB, le leader mondial du petit électroménager domestique (6 produits vendus chaque seconde dans le monde, 250 nouveaux produits lancés par an, 3 965 M€ de chiffre d’affaires en 2011), nous paraît être un exemple de ce qu’un bon directeur financier doit faire pour apporter sa pierre, jour après jours, au développement et aux succès de son entreprise :

SEB a été fondé en 1857 par une famille, les Lescure, qui ont introduit en bourse le groupe en 1975 et qui détiennent actuellement 44 % des actions, 57 % des droits de vote, et 10 postes d’administrateurs sur 15.

Cette famille donne l’impression de se sentir moins propriétaire de ses actions que dépositaire de celles-ci pour la génération suivante, un peu dans l’esprit de slogan publicitaire des montres Patek Philippe (1).

Compte tenu de cet état d’esprit, nos lecteurs ne seront pas surpris que la politique financière soit marquée du sceau de la prudence. Sur les 10 dernières années, le rapport dette/EBE n’a jamais dépassé 2 fois. De la même façon depuis 1985 (2), le dividende par action n’a jamais été réduit, ce qui veut dire que le taux de distribution moyen est faible pour permettre à l’entreprise de s’autofinancer plus largement mais aussi pour ne pas avoir à réduire le dividende par action en cas de crise sévère comme en 1998 et 1999 (crise russe). Le graphique suivant, qui fait partie des nouveaux graphiques créés pour l’édition 2012 du Vernimmen, l’illustre :

Lorsque le bloc familial est fait d’environ 260 membres dont un seul travaille dans l’entreprise, il vaut mieux faire attention à la politique de distribution : pour certains actionnaires familiaux cela représente une partie importante de leurs revenus. La fidélité actionnariale a pour corollaire la constance dans la politique de distribution : dividende jamais réduit et progressant en moyenne de 8,3 % par an.

La stratégie générale de l’entreprise est le second élément déterminant d’une politique financière. SEB est dans un secteur d’intensité capitalistique faible : le rapport chiffre d’affaires sur actif économique est de l’ordre de 1,7 et les investissements annuels de l’ordre de 120 M€ représentent 30 % de la capacité d’autofinancement. En fait, une partie des investissements passe par le compte de résultat : la recherche-développement (2 % du chiffre d’affaires) et la publicité (3 à 4 %, soit autant que les investissements classiques).

Dans ce secteur, SEB croît par croissance organique fondée sur l’expansion géographique (présent dans 150 pays) et l’innovation produit (de la super-cocotte à la friteuse Actifry), mais aussi très largement par croissance externe. Des 21 marques que possède le groupe, une seule a été développée en interne (SEB), toutes les autres (Moulinex, Tefal, Krups, Calor, Lagostina, Supor, Rowenta…) ont été acquises dont la moitié depuis 2001.

Autrement dit, la politique financière de SEB doit ménager des réserves de liquidités importantes, mobilisables à tout moment car en matière de croissance externe, il faut comme Saint Matthieu « veiller, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » où telle ou telle cible deviendra disponible.

Si SEB n’a un endettement bancaire et financier net que de 251 M€ au 30 juin 2011, il dispose de ressources à long terme, tirées ou non, de 1,2 Md€ en 2011 qui ne tombent (du fait des remboursements contractuels) qu’à 900 M€ en 2015. De quoi faire des emplettes !

Ce qui veut aussi dire que le groupe supporte un coût pour cette flexibilité puisque les ressources à long terme tirées (537 M€ au 30 juin 2011), non utilisées dans le financement de l’actif économique (475 M€ à la même date) et donc placées en trésorerie ne rapportent pas dans le contexte actuel le même taux d’intérêt qu’elles ne coûtent. Mais comme toute police d’assurance, la flexibilité financière a un coût.

En matière de financements, SEB n’a eu de cesse depuis quelques années de suivre 4 principes :

  • diversifier ses sources de financement ;
  • étendre la maturité des financements ;
  • être proche d’un nombre limité de banquiers ;
  • mettre en place des documentations juridiques souples et les moins contraignantes possibles.

Diversifier les sources de financement, cela signifie compléter les sources de financement existantes auprès des banques et du marché des billets de trésorerie par l’appel au marché obligataire coté (300 M€ sur 5 ans placés en mai 2011) et au marché obligataire privé (émission en 2008 de 161 M€ d’obligations dites Schuldschein (3) à échéance 2013 et 2015 souscrites par des investisseurs allemands).

Étendre la maturité des financements correspond principalement à réduire fortement la part du financement par billets de trésorerie, ressources par définition à court terme (4). Réduire ne veut pas dire arrêter. Le programme de 600 M€ n’a jamais été arrêté pour que les investisseurs sur ce marché n’aient pas la pénible impression que SEB ne vient les solliciter que lorsqu’il a besoin d’eux et qu’il ne trouve pas de ressources ailleurs.

Être proche d’un nombre limité de banques afin de pouvoir être plus sûr de leur engagement à soutenir le groupe, y compris dans les moments difficiles, a signifié réduire le nombre de banques participantes au crédit syndiqué de 40 à 9 à son renouvellement en 2004, puis à 7 en 2006 et 2011. Celles-ci, en contrepartie d’une prise de risque supérieure, ont trouvé une part de marché plus importante dans le « side business » qui améliore la rentabilité pour elles de l’activité de crédit : cash management, change, couverture, épargne salariale, etc.

L’inconvénient d’une telle pratique est que si l’une des banques venait à disparaître (faillite, rachat, fusion), ce qui est toujours possible dans l’environnement actuel, un besoin de financement naîtrait à moyen terme. Mais nul doute que compte tenu de la qualité de l’entreprise, quelques établissements se précipiteraient pour se substituer.

Concernant la documentation juridique souple et la moins contraignante possible, le cheval de bataille de SEB a été de faire sauter ses covenants (5), ce qu’il a obtenu en 2006. C’est plus une question de principe qu’autre chose. Le faible risque relatif de son activité et son faible niveau d’endettement expliquent cette situation.

Bien évidemment, avoir une politique financière intelligente est beaucoup plus facile lorsque l’entreprise est performante opérationnellement et que le niveau d’endettement est faible : limiter le nombre de banques et axer principalement la dette sur les échéances de long terme avec des documentations bancaires légères s’avèrent moins faciles pour les groupes plus lourdement endettés. Cela dit, c’est quand tout va bien qu’il faut être rigoureux et exigeant car quand la situation d’exploitation se dégrade, il est trop tard pour bien faire.

De même, la diversification des sources de financement est plus compliquée pour les groupes plus petits : pas d’accès au marché obligataire, voire aux billets de trésorerie. Mais d’autres sources restent disponibles (factoring, leasing). La diversification des sources de financement n’est pas enfin sans coût : lourdeurs de gestion, voire décotes de liquidité si les produits de marché sont émis en trop faibles volumes. Il doit donc y avoir un équilibre. Il semble que SEB l’a trouvé.

Notre lecteur aura compris que la politique financière de SEB a un côté exemplaire par son adéquation à son environnement industriel et actionnarial. Il ne nous appartient pas de décerner des prix Vernimmen mais s’il en existait un, la direction financière de SEB, dont la devise est « Sale is vanity, profit is sanity, cash is reality » serait un sérieux prétendant.

 

(1) You never actually own a Patek Philippe. Your merely look after it for the next generation.
(2) Nous ne sommes pas remontés avant.
(3) Pour plus de détails, voir le chapitre 30 du Vernimmen 2012.
(4) Pour plus de détails, voir le chapitre 26 du Vernimmen 2012.
(5) Pour plus de détails, voir le chapitre 39 du Vernimmen 2012.