Il est difficile de voir comment le modèle du capital-investissement ou private equity (PE) a pu tenir debout étant donné son coût, en particulier dans le segment des leveraged buy-out (LBO).

 

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Considérons la valeur globale de toutes les entreprises soumises à un LBO au cours d’une année donnée : elles ont eu des bénéfices de 60 Md$, une valeur d’entreprise de 600 Md$ (10 fois les bénéfices), répartis entre deux tiers de dette (400 Md$) et un tiers de fonds propres  (200 Md$).

Pour acquérir tous ces actifs, de nombreux professionnels (avocats, consultants, conseillers, comptables) passent de longues heures à analyser les entreprises sous tous les angles, à concevoir des plans d’affaires et des montages complexes (visant notamment à réduire au maximum la facture fiscale). Après l’acquisition, les consultants et les banquiers d’affaires s’y mettent eux aussi et les sociétés de PE facturent des frais supplémentaires. L’équipe de direction gagne également, au total, beaucoup plus que dans les sociétés n’appartenant pas au PE. Par conséquent, faire passer ces 600 Md$ d’actifs par an sous le régime du PE et les y maintenir coûte au moins 20 Md$ par an.

En outre, 400 Md$ sont empruntés à un coût de 10 Md$, les prêteurs devant facturer leur diligence préalable. Une partie de ces capitaux est levée auprès d’investisseurs institutionnels. Le coût diffère en fonction du type d’intermédiaire (banques, fonds CLO, fonds de dette privée ou marchés de la dette publique) ainsi que de la manière dont il est facturé (par exemple, les fonds de dette privée facturent environ 1,5 % du montant investi, soit environ 6 % sur la période de détention de quatre ans, plus parfois une commission liée à la performance).

Nous n’avons pas une bonne estimation du coût total de la fourniture de cette dette, mais 1,25 % par an pendant quatre ans semble raisonnable, soit 5 % de 400 milliards de dollars = 20 Md$.

Il faut ensuite lever les 200 Md$ de fonds propres. Les investisseurs institutionnels fournissent cet argent par l’intermédiaire de fonds et mettent en œuvre leur propre diligence à cet effet, engager des avocats, des consultants, etc. Les fonds de PE engagent également des avocats, participent à des tournées de présentation, engagent parfois des agents de placement, sponsorisent des conférences et des événements, etc.  […] Ainsi, les fonds de PE demandent au moins 50 Md$ pour investir ces 200 Md$.

Au total, déployer les 600 Md$ s’accompagne d’une facture d’au moins 100 Md$. Si les investissements étaient liquidés le lendemain, les fonds propres vaudraient 200 Md$. Par conséquent, ce qui doit être récupéré pour l’actionnaire est un montant égal à la moitié de l’investissement effectué ; sur seulement quatre ans ! Le capital-investissement est une forme d’intermédiation financière étonnamment coûteuse.

D’où viennent et où vont ces 100 Md$ ? La source de ces paiements est l’ensemble des entreprises faisant l’objet d’un LBO. L’argent va à environ 100 000 personnes qui travaillent dans et autour des entreprises de capital-investissement. […] Compte tenu des coûts, de l’effet de levier utilisé et du fait que la valeur des sociétés cotées en bourse (public equity) a historiquement augmenté de 11 % par an, la valeur des fonds de capital-investissement doit passer de 200 Md$ à deux fois plus (400 Md$) pour atteindre un seuil de rentabilité comparable. En l’absence d’une hausse des multiples de valorisation, la croissance organique des bénéfices devrait alors être de 11 % par an, ce qui semble irréaliste.

 

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Au cours des deux dernières décennies, les valorisations ont augmenté, de sorte qu’il y a eu doublement de la valeur des actions, malgré une croissance plus faible des bénéfices. À l’avenir, cela pourrait être plus difficile. […]

Ce transfert de richesse pourrait être l’un des plus importants de l’histoire de la finance moderne : de quelques centaines de millions de membres des régimes de retraite (plus les dotations, les fonds souverains, les family offices, etc.) à quelques milliers de personnes travaillant dans le secteur du PE [dont quelques milliardaires affichés].

 

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Cet article a été publié sur Vox-Fi le 6 juillet 2020.