Un topo sur l’économie étatsunienne
La Banque fédérale de New-York publie mensuellement une courte et toujours utile revue sur l’état de l’économie aux États-Unis. On en reprend l’essentiel ici, puis, à l’occasion, on fera un détour par un article assez détonnant sur la France de l’économiste Paul Krugman, chroniqueur dans le NY Times.
Premier point, le PIB étatsunien se relève vaillamment du tsunami Covid de 2020, mais, indique le graphique, sans avoir rejoint encore le niveau de sa trajectoire pré-crise.
Cette remontée du PIB renforce l’emploi et, de fait, le taux de chômage (ligne bleu du graphique qui suit) retrouve son niveau pré-crise. Mais l’œil retient avant tout de ce graphique (en trait rouge) le taux d’activité, c’est-à-dire le rapport entre les gens actifs (employés ou à la recherche d’un travail) et le total de la population en âge de travailler. Il renâcle à remonter. Aux États-Unis, on désigne la chose par le mot Great resignation, « resignation » voulant dire en anglais « démission », encore qu’il puisse y avoir un peu de résignation dans le phénomène : les gens restent chez eux, soit qu’ils aient encore en poche quelque reste des subsides distribués, soit qu’ils apprécient, à l’européenne, le temps de loisir auquel le Covid leur a donné goût, et hésitent pour cela à replonger trop vite dans le stress d’antan, soit enfin – on y vient – que beaucoup d’entre eux œuvraient de façon plus ou moins informelle dans les métiers de services qui restent en retard dans cette reprise.
L’autre point saillant de cette reprise, qui en inquiète plusieurs parmi les opérateurs de marché et les banquiers centraux, c’est bien sûr l’inflation. Le graphique a été vu mille fois, mais remettons-le. (Remarque pour les spécialistes : il ne s’agit pas du classique indice des prix à la consommation (IPC) qui s’affiche là-bas à 7 % au mois de décembre 2021, mais d’un « déflateur » issu de la comptabilité nationale : on calcule l’agrégat consommation des ménages aux prix courants, puis en volume, et l’on fait le rapport des deux. On juge que cette statistique est plus fidèle que l’IPC parce qu’elle prend en compte certaines dépenses mal suivies par l’IPC, comme le coût du logement. Il serait utile que l’INSEE rende davantage public à rythme trimestriel un tel indice.)
Le graphique illustre l’important décalage au moment du gros de la crise – qu’on retrouve dans les économies européennes – entre le revenu disponible des ménages, dopé par les importantes aides publiques, et la consommation, contrainte par les freins à la libre circulation. La fin des aides aux États-Unis ramène le revenu disponible à son niveau antérieur en fin 2021. Le retour de la consommation totale à son niveau pré-crise masque, comme suggéré précédemment, une forte hausse de la consommation de biens et une chute de celle des services.
À chaque chose, crise est bonne pourrait-on dire. Voici en effet, pour finir ce tour d’horizon, ce qu’il en est de l’indice boursier, qui réserve une autre surprise, à savoir le bas niveau retrouvé de l’indice de volatilité (indice Vix). C’est comme si les marchés s’angoissaient davantage de la bouffée d’inflation que de la trajectoire fusée du prix des actions.
Nous voici à présent sur l’article de Paul Krugman, qui a un lien avec la description précédente. Il faut savoir qu’il y a quelques (rares) économistes aux États-Unis qui, disons-le, aiment la France. Non pour ses bons vins et son art de vivre quand ils y viennent en touristes, mais qui l’aiment, oui !, pour la qualité de sa gestion économique. Krugman en fait partie.
Il remarque d’abord, pour revenir sur la Great Resignation, que le taux d’activité en France n’a quasiment pas été affecté par la crise Covid. On le voit sur le graphique suivant qui reporte le taux d’activité dans les deux pays (France en bleu). Un contributeur de Vox-Fi avait commenté le phénomène dans Option Finance : clairement, il est plus efficace pour soutenir la population frappée par une crise d’aider les entreprises à ne pas rompre les contrats de travail que de distribuer des allocations directes aux ménages.
Krugman note :
« La France ? D’aussi loin que je me souvienne, la couverture médiatique américaine de l’économie française a été implacablement négative.
En 1997, Roger Cohen du Times décrivait la France comme « le souffre-douleur européen préféré de l’Amérique » […] Dans les années 90, on nous disait que la France était trop stagnante culturellement pour suivre la technologie moderne. (aujourd’hui, la France a une pénétration d’Internet à haut débit plus forte que les États-Unis.) […]Pendant la crise de l’euro de 2010 à 2013, […] la France est en chute libre », affirmait un rédacteur de Fortune.
Les reportages sur la France se sont emparés de chaque évolution négative pour y voir le signe que la catastrophe tant attendue était enfin arrivée.
Mais elle ne s’est jamais manifestée. Au contraire, l’économie française a continué à avancer. Il est vrai que le PIB par habitant est inférieur d’environ un quart en France à ce qu’il est ici. Mais cela reflète principalement la combinaison d’une retraite plus précoce et, surtout, d’un temps de travail plus court – car les Français, contrairement aux Américains, prennent des vacances. En d’autres termes, le PIB un peu plus bas reflète principalement un choix plutôt qu’un problème. »
Bon ! vrai ou pas, c’est le feelgood factor utile pour nos egos de Français et peut-être pour redorer le blason du pays outre-Atlantique. À noter que le même Paul Krugman a toujours dit pis-que-pendre de l’euro, prédisant sa chute au prochain tournant… qu’on attend toujours 22 ans après sa naissance.