Londres d’abord. La ville est belle, spacieuse, arborée, même si le temps merveilleux lors du séjour met du merveilleux à tout ce que les yeux voient. J’ai beau faire, je suis obligé de trouver les Anglais, ou Britanniques, ou citoyens du Royaume-Uni, tant les couleurs et les origines sont mélangées, sympathiques, helpful et friendly, et ceci même pour le touriste, c’est-à-dire en mettant la barre assez haut.

Et la ville est propre. S’il fait un peu trop chaud dans le métro, on pourrait y manger son omelette sur le sol des couloirs, à condition de nettoyer après. Malgré le serpentin continuel des rues, retraçant bien les chemins qui menaient de village en village dans le Londres d’il y a quelques siècles, on roule sans bouchon, même si on le fait (très) lentement. Un défilé de bus à impériale et de taxis. Peu de voitures de particulier, peut-être sous l’effet de la tarification pénalisante, qui ne permet qu’aux riches de circuler en voiture dans le centre. Pas démocratique, impensable en France, mais efficace. On se régale à prendre le bus 139, assis à l’impérial depuis New Hamstead pour descendre lentement, tout lentement, les stations s’échelonnant tous les 200 mètres, vers le South Bank et Waterloo Station.

Le retour à Paris par la Gare du Nord fera voir le contraste. Bien sûr la propreté, mais aussi l’opulence, qui ne date pas d’hier. On réalise à visiter le coin de St James Park, avec Whitehall, Buckingham, Almirauty, la richesse incroyable qu’avait l’empire britannique du temps de sa splendeur victorienne, et qui se projette dans l’immobilier, les parcs, les rues. Nos bâtiments 17 et 18e siècles font bonne figure à Paris, sont souvent architecturalement plus intéressants, mais rien à voir en puissance et en qualité d’urbanisme.

 

 

On prend la West End Road, puis Abbey Road (oui, celle des Beatles), où l’on peut s’arrêter pour visiter le merveilleux Regent’s Park, puis l’impressionnante collection amassée par le riche et francophile Wallace.

 

 

 

 

 

 

 

 

Petite pause donc sur la Wallace Collection. Le gars était un richissime francophile, habitant Paris, et en a profité pour accumuler un trésor d’œuvres de peinture, d’ameublement, de sculptures du 18e siècle français. En fait, c’est l’une des plus belles collections au monde d’art français de la période, pas forcément la plus captivante de mon point de vue dans l’histoire de l’art français, mais on y découvre des tas de choses. Wallace nous a barboté toutes ces belles pièces, mais en tout bien tout honneur, enrichissant les galéristes parisiens de l’époque (fin 19e siècle) et quelques amis peintres dans la foulée, par exemple Greuze, un contemporain. Et, en contrepartie, épouvanté qu’il était par l’état sanitaire de la capitale à l’époque, il a orné Paris de toutes les belles fontaines Wallace qu’on y voit. Sur ses fonds personnels. Si ce n’est pas gentil, ça !

Dans le genre musée, j’avais vu la veille la fameuse Courtauld’s Collection. Samuel Courtauld était d’ascendance huguenote, fuyant la France où il ne faisait pas bon vivre à l’époque. Le père de Samuel, Georges, avait en 1794 fondé la fabrique de textile au nom bien connu, mais c’est lui, Samuel, qui l’a développée pour en faire la première vraie grande firme de textile et le numéro un mondial, ce qu’elle est restée jusqu’à l’après-guerre. Comment traitait-il ses ouvriers dans la Manchester des années 1840 ? on met de côté la question. Toujours est-il qu’un de ses lointains petits-enfants, un autre Samuel, au tournant des 19 et 20e siècles, s’est également pris de passion pour l’art français. Il a fait la magnifique collection d’œuvres qu’on y voit. Elle complète bien la collection de Wallace car son dada à lui, c’était l’impressionnisme, et on n’y trouve que du caviar.

 

 

 

Visite aussi de Cambridge. Sur la photo de gauche, on voit le Mathematical Bridge, conçu dit-on par le grand Isaac. C’est menterie, puisqu’il était mort depuis 20 ans quand on l’a construit. Mais il est « mathématique » parce qu’il a des qualités d’équilibre, de forces et de contre-forces qui le rende indestructible, continue la légende. Quelques bordées d’étudiants éméchés s’y sont essayés, en sautant dessus dans tous les sens sans, heureusement, arriver à contredire la légende.

 

 

 

 

 

Cambridge, avec ses 18 000 étudiants, est devenu l’un des centres universitaires les plus avancés au monde. (Le campus Institut Polytechnique de Paris, autour de l’Ecole Polytechnique à Palaiseau en regroupe 8 000). Très élitiste aussi, mais la proximité de l’université attire quantité d’entreprises qui y installent leur labos de recherche pour profiter de la manne en QI disponible à portée de main. Les startups de la tech abondent.

 

La route en train vers Cambridge donne à voir une campagne rieuse et arborée. Eh oui, les Anglais ont fait les enclosures au 18e siècle, pour chasser les gueux vers les usines dit-on dans les cours d’histoire. Ils en ont profité pour « remembrer » ce qui a donné des surfaces cultivables de plus grande proportion. Mais se sont arrêtés là. Nous autres Français n’avons pas eu cette méchanceté envers les pauvres laboureurs, et avons attendu l’après-guerre pour « remembrer ». Mais, là, on l’a fait à coups de bulldozer, créant les immenses surfaces qu’on connait dans tout le nord de la France. Et en éradiquant les haies. Pas sympa pour la diversité écologique. Le dégât est patent. Veinards ces Anglais, ils font tout, y compris la révolution, un siècle ou deux avant nous. Et profitent d’une campagne écologiquement bien plus saine que la nôtre.

 

La campagne électorale interne au Parti conservateur est lancée après l’éviction de Johnson. Surprise à ce titre, quand on la voit avec un œil français. Le gars qui fait la course en tête s’appelle Rashi Sunak, un Indien d’origine ; la candidate peu connue mais qui monte en flèche, dit la Une du Financial Times, s’appelle Kemi Badenoch, avec un prénom qu’elle ne cherche pas à cacher. C’est un diminutif. Son nom complet, avant son mariage, est Olukemi Olufunto Adegoke, de parents nigérians. Donc seconde génération d’immigrés. Cela grimpe vite dans ce pays. Imagine-t-on un président ou premier ministre de la « diversité » en France ? Aurions-nous les mauvais immigrés, ou leur colle-t-on des barrières sociales qu’on ne peut percer qu’à la dynamite ? Selon The Economist, 88 % des Britanniques accepteraient un ou une Premier ministre issu de l’immigration, la plus haute proportion en Europe. Près de 10 % des députés de la Chambre des communes en viennent aussi. Graphique.

 

 

 

 

La promenade dans les rues de Londres, ville qui a un biais cosmopolite évident, montre comme on le sait des gens de toutes les couleurs, mais plus spécifiquement des couples mélangés, des classes d’enfants (on est à la veille des vacances d’été) brassées (et quantité d’écolières voilées, au fait !). Le Persan que je suis pour l’occasion décrirait une société où les problèmes ethniques et identitaires sont assez peu aigus. Pourtant, la population immigrée, selon les Nations Unies est identique dans les deux pays, à 14,1 % de la population active.

 

Continuant sur ma lancée, je me pose la question du Brexit. On lit que le Royaume-Uni a perdu 4 points de PIB dans l’affaire. Mouais, voyons les chiffres en comparant le PIB en volume par tête (en dollars 2011, stats de la banque mondiale) entre la France et le Royaume-Uni.

La courbe bleue, c’est le Royaume-Uni sur la période 1960-2021 ; la rouge, c’est la France. Au tournant des années 80, nous Français les avions rejoints, une performance historique au regard des siècles passés. Mais ils semblent avoir repris un peu de vitesse depuis lors, n’est-ce pas ?

 

Ce ne peut être le bon test pour juger de l’impact du Brexit sur la croissance britannique. Voici donc les mêmes courbes mais mises en base 100 fin 2007, pile avant la grande crise financière. On voit que les deux économies progressent au même rythme. Si le Royaume-Uni a reçu un coup sur le crâne à cause du Brexit, le coup parait avoir marqué tout autant la France.

Inutile de rappeler les performances en matière d’emploi. Taux de chômage 3,8 % Royaume-Uni ; 7,2 % France (oui, OK, il y a les petits boulots payés de façon infame chez les Britanniques, mais quand même !). Une statistique plus importante est le taux de participation au marché du travail : France 56 %, Royaume-Uni 62 % (source Banque mondiale, 2021).

Alors on regarde des statistiques plus sociales, par exemple l’IDH, indice de développement humain. Il s’établit à 0,901 pour la France ; 0,932 pour le Royaume-Uni. L’IDH ne veut pas dire grand-chose, et j’ai une meilleure estime de mes impressions des rues de Londres le soir (par beau temps, je le concède). En fait, les gens qui sortent du travail prennent l’habitude de se retrouver en masse dans les pubs, les cafés, les parcs. C’est un lieu de sociabilité extraordinaire, propice peut-être à un chouya d’alcoolisme (ici, ils nous battent : 12,3 litre par habitant en 2016 contre 11,7 litre pour la France), mais il s’agit d’un alcool consommé en société et non chez soi, si on en juge par le fait que la part du budget du ménage consacrée aux boissons alcoolisées est de 1,5 % contre 1,8 % chez nous.

Je me lance ensuite dans le sociétal dur, avec le fameux World Value Survey, pour avoir la surprise que ni la France ni le Royaume-Uni n’ont répondu aux enquêtes 2017 et 2022. Il faut remonter à 2007. Voici deux questions sur la satisfaction personnelle et la sociabilité, toutes deux largement reprises dans la presse :

La première, la V22, vous est présentée sous forme d’un graphique, compliment de Vox-Fi :

On y voit que les Britanniques ont une courbe clairement déplacée vers la droite, vers une satisfaction personnelle meilleure.

 

Quant à la V23, voici le tableau :

Ce n’est pas formidable dans les deux cas, mais la différence est nette. Le fameux PISA, à présent.

Pour la lecture et écriture d’abord : France 493 // Royaume-Uni 504 // Moyenne OCDE 487. Quant aux maths qui font parler d’elles en France aujourd’hui : France 495 // Royaume-Uni 502 // Moyenne OCDE 489.

Au total, si le Royaume-Uni va mal, comment va la France ?